Au cours des derniers mois, le Sahel a vu de nombreuses attaques perpétrées contre des civils et les actes de violence liée aux conflits locaux ont atteint des niveaux sans précédent.
Le 1er janvier, une attaque a eu lieu dans le village de Yirgou, dans le centre-nord du Burkina ; le bilan officiel fait état de 49 morts. Le même jour, une attaque dans le village de Koulogon, au centre du Mali, faisait 39 morts. Le 23 mars, près de 160 personnes ont été tuées lors d'un massacre dans le village d'Ogassagou, dans la région de Mopti, au Mali.
Sont ensuite survenues les attaques du 1er avril, la première dans la commune d’Arbinda, au nord du Burkina, faisant environ 60 morts, et l’autre à Sobane Da, un village situé au centre du Mali à la frontière avec le Burkina, causant la mort de 35 personnes. Le 4 octobre 2019, un autre assaut dans la commune d’Arbinda, a fait plus d’une vingtaine de morts, principalement des orpailleurs.
Il est tentant d'attribuer la recrudescence de la violence dans la région aux seules tensions intra et intercommunautaires, qui seraient exploitées par les groupes extrémistes violents. Ces tensions sont souvent imputées aux différences ethniques.
Or, elles sont souvent davantage le résultat de luttes de pouvoir et compétitions pour des ressources entre des acteurs d’une même ou de différentes catégories socio-économiques. En se positionnant en faveur d’une des parties au conflit, les groupes extrémistes violents peuvent plus facilement recruter et renforcer leur ancrage local, ce qui peut exacerber les tensions.
Des travaux de recherche en cours de l’Institut d’études de sécurité, en collaboration avec le Centre pour le dialogue humanitaire (HD), révèlent des variations contextuelles dans la façon dont les groupes extrémistes violents se positionnent par rapport aux conflits locaux. Ils peuvent être directement impliqués dans les combats, ou jouer le rôle de médiateur. Il arrive toutefois que leur présence conduise à une rupture temporaire des conflits.
Leur positionnement semble être influencé par plusieurs paramètres. Parmi ceux-ci figurent leur niveau de pénétration au sein des communautés, la composition sociologique du groupe et des communautés locales, ainsi que le rapport de force entre les différents acteurs et les objectifs ou besoins stratégiques des extrémistes violents.
En outre, si les groupes terroristes sont souvent désignés comme les principaux catalyseurs de la violence, les maintes dynamiques à l’œuvre sont en réalité beaucoup plus complexes.
Il est tentant d'attribuer la recrudescence de la violence aux seules tensions communautaires, exploitées par les groupes extrémistes violents
Plusieurs facteurs contribuent à la violence persistante dans cette région. Au cours des dernières années , la région a connu une augmentation du nombre de milices et de groupes armés communautaires d’auto-défense. Dans le même temps, les armes légères et de petit calibre se sont multipliées.
Les activités criminelles telles que le trafic illicite et le vol à main armée, qui entraînent souvent des actes de violence, n’ont guère diminuer. L'État est absent ou peu présent dans de nombreuses localités et ne peut donc pas protéger les communautés. Même dans les endroits où il est présent, son autorité est parfois contestée.
La confiance dans les mécanismes traditionnels de gestion des conflits s'est également considérablement érodée. Les effets du changement climatique et la pression démographique ont perturbé les moyens de subsistance et ont aggravé les tensions entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs.
Les groupes extrémistes violents exploitent les clivages entre communautés rivales. Par exemple, depuis les années 1980, un conflit oppose des Peul et des Daoussahaq à la frontière entre le Mali et le Niger, en partie dû à l'accès aux ressources naturelles et au vol de bétails.
Les groupes extrémistes violents peuvent être des antagonistes, des médiateurs ou des agents de répression de la violence
Dans ce conflit, l’État islamique dans le grand Sahara exploite les frustrations et le désir de vengeance des Peul en leur offrant un soutien contre des Daoussahaq. Quant aux Daoussahaq, ils peuvent compter sur le soutien du Mouvement pour le Salut de l’Azawad – majoritairement composé de Daoussahaq – qui bénéficierait de l’appui des forces armées maliennes, nigériennes et françaises, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Dans le centre Gourma (à cheval sur le Burkina et le Mali), un conflit oppose les pasteurs Taraboro, venant du Burkina, aux éleveurs autochtones de N’Tillit, au Mali, qui accusent les Taraboro de s’accaparer leurs pâturages.
Des membres d’une branche de la Katiba Macina ont assuré une formation dans le maniement des armes et l'accès aux matériels de guerre à certains pasteurs Taraboro, prétendant que les ressources n’appartiennent pas aux autochtones, mais à Dieu.
D’autres exemples mettent en lumière le rôle de médiation entre des parties en conflit que jouent les groupes extrémistes violents à Tenenkou au centre du Mali, à Gabero dans la région de Gao et dans l’Oudalan au Burkina. Dans le centre du Mali, Katiba Macina a résolu des problèmes tels que celui lié à la concurrence pour la chefferie koubi, pendante devant un tribunal depuis 1999.
En se positionnant en faveur d’une des parties aux conflits locaux, les extrémistes violents parviennent à recruter et à renforcer leurs capacités
Occasionnellement, la présence de groupes extrémistes réduit l'intensité de la violence. Au Mali, avant l'émergence de groupes extrémistes violents, les cercles de Youwarou et de Mopti ont été engagés dans des conflits liés à la répartition des terres et au leadership traditionnel. Les tensions dans des localités de Sah et Dialloubé, dans la région de Mopti, ont cessé en raison de la présence de ces groupes extrémistes violents.
Ainsi, les groupes extrémistes peuvent être des antagonistes, des médiateurs ou des suppresseurs de la violence par le biais de l'influence et du contrôle qu'ils exercent dans les zones où ils opèrent. Il importe d’analyser la façon dont les groupes réussissent à restructurer la vie sociale et économique et à imposer des solutions qu'ils appliquent par la coercition, la violence, la dissuasion ou les principes religieux (p. ex. l’idée que la terre appartient à Dieu).
Vaincre ou déloger des groupes extrémistes violents est primordial. Mais leur retrait pourrait contribuer à une résurgence des tensions où ils se sont établis en tant qu’arbitres ou suppresseurs des conflits locaux – en particulier si les mécanismes de gestion des conflits traditionnels ou étatiques ne sont pas rapidement rétablis.
Attribuer la recrudescence de la violence uniquement à leur exploitation des conflits communautaires signifie potentiellement perdre de vue les dynamiques structurelles qui sous-tendent cette violence. Une labellisation erronée des phénomènes et des dynamiques en présence pourrait contribuer à nourrir la spirale de violence. Le rétablissement de la paix et de la cohésion sociale sur la durée doit prendre en compte les causes profondes des conflits locaux.