Pour Dr. Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute basé à Dakar et à Niamey, l’une des grandes inquiétudes est que la décision de la Turquie d’intervenir « ouvertement sur le plan militaire en Libye » soit prise au moment où « la base avancée de Madama au Niger est mise en sommeil par les forces françaises de Barkhane qui se sont redéployées vers Gossi dans le Nord du Mali ». L’expert des réseaux transnationaux dans le Sahel confie à la rédaction de Niamey Et Les 2 jours qu’« une éventuelle situation chaotique et un enlisement militaire en Libye auront de fâcheuses conséquences au Sahel dont les différents pays sont déjà touchés par la recrudescence des attaques terroristes, aussi bien au Niger qu'au Burkina Faso en plus du Mali, épicentre du djihadisme dans la région».
Pour le chercheur, par ailleurs, fondateur de l'Observatoire africain du Maghreb et du Moyen-Orient, « ce qui se passe en Libye est le fait d’une compétition ouverte autour d'intérêts stratégiques de la part de puissances étrangères avec diverses convoitises ne mettant pas toujours en avant l’impératif de paix et la stabilisation du pays ».
Bakary Sambe explique qu’«en Libye s’affrontent actuellement, deux principaux camps celui sous l'égide du Maréchal Haftar contrôlant l’Est de la Libye (Cyrénaïque) avec une mainmise sur le trafic de migrants, la contrebande pétrolière, et l’exportation de ferraille. Ce camp dit de l’Armée nationale Libyenne est soutenu par l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et l'Egypte ». Pour le chercheur, ces pays qui soutiennent le Maréchal Haftar « partagent la préoccupation de limiter l’influence des Frères musulmans dans le monde arabe ».
De l'autre côté, poursuit, Sambe, « il y a le camp dit du Gouvernement d’Union nationale conduit par Faïez Al Sarraj qui a pris le contrôle de la Tripolitaine et est reconnu par les Nations Unies. Il bénéficie d’un soutien ouvert du Qatar et de la Turquie en plus d’un appui plus discret de l’Iran qui saisit l’opportunité de contrer l’influence saoudienne, entre autres »
Cependant, « en plus des raisons idéologiques mises en avant dans beaucoup d’analyses, il y des visées économiques et géostratégiques qui motivent l'engagement de la Turquie ». Pour le directeur de Timbuktu Institute, « ce pays est en train de jouer son avenir énergétique en Méditerranée ».
« Rappelons que la Turquie a précipitamment pris la décision de déployer ses soldats en Libye juste après la signature d’un accord pour la projet "EastMed" entre la Grèce, Chypre et Israël portant sur un Gazoduc de 2000 Km auquel l'Union européenne a, aussi, apporté son soutien financier conséquent », révèle Dr. Bakary Sambe. Il rappelle que « cet accord porte essentiellement sur les énormes réserves offshore au large de Chypre et d’Israël vers la Grèce, puis vers le reste de l’Union européenne et que des pays d’Europe du Sud comme l’Italie seraient très intéressés à rejoindre cette initiative que la Turquie considère comme une menace sérieuse sur son approvisionnement énergétique »
Ainsi, selon Dr. Bakary Sambe, « la Turquie cherche surtout à assurer ses arrières pour son approvisionnement en gaz dans des eaux territoriales libyennes renfermant d’énormes gisements non loin de ses côtes et à bonne portée » et se positionne également « sur les marchés juteux de la reconstruction du pays avec ses géants du bâtiment assez présents dans la région », conclut le directeur de Timbuktu Institute.