Les Nigériens semblent, légitimement, accorder plus d’importance aux débats concernant le rang de dernier pays de la planète que nous occupons (en termes d’indice de développement humain), qu’aux progrès spectaculaires que nous avons accomplis au cours des dernières décennies. Ceci est tout à fait compréhensible : quand vous êtes deux à être poursuivis par un lion, votre préoccupation principale n’est plus de courir plus vite que le lion, mais de courir plus vite que votre compagnon d’infortune. Comme le rappelait souvent un fameux sociologue français, dans un concours, seul un demi-point peut séparer le dernier reçu du premier recalé mais ce demi-point suffit à faire toute la différence. Vous pouvez avoir accompli la prouesse extraordinaire d’avoir eu 18,5 sur 20, tant qu’il y en deux ou trois qui ont encore fait mieux que vous, vos exploits passeront inaperçus puisque seul ce nombre infime de trois était prévu pour être retenu. Toutefois, on ne doit pas aussi oublier que le nombre de reçus au concours repose sur des décisions arbitraires qui passent sous silence les mérites des candidats recalés.
Cette parabole illustre à merveille le cas du Niger quand il s’agit de développement économique et social. Ainsi, malgré la corruption généralisée, l’incompétence criarde des dirigeants qui se sont succédé au pouvoir et l’exploitation féroce de nos ressources minières par la France qui ne nous jette que des miettes, la quasi-totalité des indicateurs se sont améliorés de façon remarquable (mais non suffisante) au cours des dernières décennies bien que nous soyons encore le pays le plus en retard sur la voie du développement. Cette constatation (forte, mais insuffisante croissance des indicateurs sociaux) ne repose pas sur une spéculation ou des slogans, mais sur des faits irréfutables, sur des chiffres vérifiables. Et ces chiffres sont d’autant plus remarquables qu’ils vont totalement à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle la croissance démographique est un frein au développement et a l’amélioration des indicateurs sociaux. Partant de l’exemple de l’espérance de vie, je voudrais démontrer, au contraire, que la forte croissance démographique est le gage d’un développement économique et social. Toutefois, il doit être clair que nous préconisions une croissance démographique débridée et incontrôlée. Donner une éducation convenable et des emplois aux jeunes (en particulier aux jeunes filles) doit être notre priorité des priorités. Cela contribuera aussi à réguler la démographie ; une démographie dont la croissance doit être équilibrée et bénéfique pour l’économie et les populations.
La croissance de l’espérance de vie à la naissance au Niger
En 1970, l’espérance de vie au Niger était de 35,88 ans. La même année, en France, elle était de 71,66 ans. Ce qui veut dire qu’elle faisait presqu’exactement le double de celle du Niger. En 2018, l’espérance de vie en France était de 82,3 ans alors qu’elle était de 61,6 ans au Niger. On voit donc qu’en l’espace de 48 ans l’espérance de vie au Niger a augmenté de près de 26 ans alors qu’elle n’a augmenté que d’un peu plus de 10 ans en France. En conséquence, on peut estimer que la croissance de l’espérance de vie au Niger était deux fois et demie plus rapide qu’en France ; car en 1970 le gap entre les deux pays était de près de 36 ans alors qu’il n’était plus que 20 ans en 2018.
Bien sûr, cette situation s’explique en premier lieu par le fait que la France se situe dans la tranche la plus haute de l’espérance de vie (elle se classe 7eme derrière des pays comme Singapour, l’Italie ou le Portugal et loin devant des pays comme les Etats-Unis). En conséquence, les changements se font plus lentement que pour un pays comme le Niger qui avait une faible espérance de vie au départ. Etant donné qu’une population plus jeune a en principe un nombre potentiel d’années qui lui reste à vivre plus élevé qu’une population plus vieille, on comprend aisément que les progrès en la matière soient plus rapides au Niger qu’en France.
Toutefois, la croissance de l’espérance de vie au Niger reste remarquable quoi qu’on puisse dire du point de départ comparé des deux pays. On le voit notamment lorsqu’on se réfère à l’espérance de vie attendue en 2030 (dans bientôt 10 ans) quand on fait des projections sur la base des taux de croissance actuels. L’espérance de vie attendu en France en 2030 est de 84,3 ans alors qu’elle est de 69,8 ans pour le Niger. Dans les 10 années qui viennent, le Niger progressera donc de plus de 8 ans alors que la France ne progressera que de 2 ans. La différence entre les deux pays qui, ne l’oublions pas, était de 36 ans en 1970 ne sera « plus que » de 14 ans. Ce sera encore beaucoup mais gardons toujours en mémoire que ce sera dans tout juste 10 ans, c’est-à-dire demain ! Mieux encore, l’écart se réduit plus rapidement à mesure qu’on avance dans le temps. Alors qu’entre 1970 et 2018, la progression en termes d’espérance de vie aura été en moyenne de 5,4 ans tous les 10 ans pour le Niger, entre 2018 et 2030, elle sera d’environ 7 ans tous les 10 ans. Mieux encore, si l’on se réfère au passé, on constate qu’entre 1950 et 1960 le Niger n’est passé que de 34,29 ans à 35,01 ans. Ce qui veut dire qu’au cours de ces années-là, en 10 ans le Niger n’a même pas gagné un an d’espérance de vie. Il en est d’ailleurs de même pour les décennies qui suivent puisque le Niger n’a gagné que quelques mois (moins d’un an) entre 1960 et 1970 et seulement un peu moins de 3 ans entre 1970 et 1980. En comparaison, on notera par exemple que le nombre moyen d’années qu’un enfant né en 2019 peut espérer vivre au Niger est de 62,16 ans, ce qui représente un gain de plus d’une demi-année rien que sur 2018. Dans le passé, il nous aurait fallu presque 10 ans pour faire une progression comparable.
Catastrophisme démographique et développement
Pourquoi faut-il rappeler ces chiffres ? Tout simplement parce qu’un certain discours catastrophiste (répété par des dirigeants ignorants sous forme de slogan), discours qui a toutes les allures d’une véritable guerre psychologique, est entretenu autour de l’Afrique et de son avenir démographique. Au centre de ce discours se trouve la croissance démographique qu’on présente comme le problème principal sur la voie du développement et du bien-être général. Pour pouvoir bénéficier du dividende démographique, nous dit-on, il faut limiter drastiquement les naissances et donc le nombre de jeunes (en particulier les moins de 15 ans) qu’on trouve trop élevé. Le Niger est le pays qui est régulièrement indexé à l’aide de chiffres qui sont manifestement faux tels qu’un taux de croissance démographique de 3,9% ou même de 4% selon certaines « études » ou un taux de fécondité qu’on dit être de 7,9 enfants par femme en âge de procréer. A mon avis, il ne faut accorder aucune crédibilité à ces chiffres car il est impossible d’avoir de tels taux lorsqu’on examine par ailleurs les autres indicateurs tel que le nombre de jeunes filles qui ont un niveau d’éducation secondaire ou le taux d’urbanisation de la population, tous les deux en constante augmentation. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ailleurs, certes, la population augmente rapidement au Niger mais le rythme de cette augmentation, c’est-à-dire en gros, le taux de fécondité, tend à baisser et continuera à baisser dans les années à venir en raison de l’élévation du taux de scolarisation, en particulier des jeunes filles, mais aussi d’autres facteurs tel que la croissance du taux d’urbanisation, les gens qui vivent en ville ayant en moyenne moins d’enfants que ceux qui vivent dans les zones rurales. Dans toute l’histoire de l’humanité une élévation du taux d’urbanisation s’est toujours accompagnée d’une baisse de la fécondité. Certes, le taux d’urbanisation au Niger (de l’ordre de 16%) est encore faible mais il est en constante augmentation, étant passé par exemple (en chiffres absolus) d’un peu plus de 2 millions et demi à plus de 4 millions d’habitants rien qu’entre 2010 et 2020.
S’il est donc vrai que la population continue d’augmenter au Niger, le rythme auquel elle augmente tend à baisser tout comme un coureur de fond avance tout en ralentissant dans les derniers kilomètres avant de s’arrêter. On note par exemple que le taux de fécondité dans l’EDSN de 2012 était de 7,6 enfants par femme alors qu’il n’est plus que de 6 enfants par femme dans l’EDSN de 2017. Même si, encore une fois, ces chiffres sont sujets à caution (ils sont peu crédibles), ils sont loin de ceux que Macron imagine dans ses délires racistes. Mieux encore, ils indiquent que les générations d’aujourd’hui font en moyenne moins d’enfants que n’en faisaient leurs parents et que la tendance est à la baisse du rythme du taux de croissance de la natalité.
Pour en revenir à la relation qui existe entre croissance démographique et espérance de vie, notons que l’espérance de vie est le meilleur indicateur du bien-être dont une population jouit. Or, contrairement à l’idée selon laquelle la croissance démographique est « un frein au développement » et au bien-être social, on constate qu’elle n’a pas eu d’incidence négative sur l’espérance de vie au Niger. Cette dernière a continué à augmenter (certes, relativement lentement) en même temps que la population continuait de croître. Quel que soit l’indicateur qu’on prend, notre situation aujourd’hui est meilleure qu’elle n’était lorsque nous étions moins nombreux et il est impossible de démontrer le contraire quand on ne se contente pas de claironner des slogans.
La croissance de la population a même été de loin plus rapide que la croissance de l’espérance de vie et si les propagandistes malthusiens avaient raison, on se serait donc attendu à une incidence catastrophique de la première sur la seconde. Or ce n’est pas ce qui s’est passé. En effet, en 1970 le Niger comptait un peu plus de 4.500.000 habitants et comme nous l’avions vu, l’espérance de vie n’était alors que de 35,88 ans. En 2018 le Niger comptait 22.500.000 habitants avec une espérance de vie plus de 61 ans. Aujourd’hui (2020) le Niger compte 23.760.000 habitants et l’espérance de vie y est de 62,53 ans. Alors que la population a été multipliée par 5 entre 1970 et 2020, l’espérance de vie n’a pas reculé ou stagné mais elle a été multipliée par plus d’une fois et demie. Ceci est vrai de tous les autres indicateurs (mortalité maternelle et infantile ; taux de scolarisation ; mortalité générale, réduction du taux de pauvreté, etc.) à l’exception notable du revenu par tête qui n’est pas un véritable indicateur du bien-être social, surtout comparé à l’espérance de vie. Le revenu par tête peut être très élevé dans un pays (comme par exemple en Arabie Saoudite) alors que certains éléments de l’indice de développement humain (telles que l’égalité des genres) peuvent être très bas. Incidemment, on peut aussi noter que ce sont certains retards comme les inégalités de genre au Niger qui expliquent en grande partie notre rang de dernier en termes d’indice de développement humain.
Le facteur « jeunes »
Les politiques démographiques actuelles qui préconisent une limitation drastique des naissances et une forte baisse du taux de croissance démographique (et donc du nombre de jeunes) ne sont pas équilibrées car elles oublient de prendre en compte tous les facteurs (notamment la croissance concomitante du nombre de vieillards) et les conséquences négatives qui pourraient découler d’une telle situation. Nous sommes un pays où la mortalité baisse et où l’espérance de vie, telle que démontré plus haut, tend à croître rapidement. Cela veut dire que toute réduction drastique de la croissance démographique par la voie d’une forte limitation des naissances aura pour conséquence une augmentation concomitante du nombre de vieillards. Or les vieillards font partie du problème qu’on dit vouloir résoudre : à savoir un accroissement de la population inactive. Ce sont les moins de 15 ans et les plus de 64 ans qui constituent la population inactive. Dans la situation actuelle, ce qu’on reproche à la démographie nigérienne, c’est le fait que le nombre des moins de 15 ans (et donc une part importante des inactifs) tend à s’élever (du moins en chiffres absolus). Ils sont supposés constituer une « frein au développement » parce qu’ils ne travaillent pas et sont une charge sur les budgets sociaux. On oublie seulement de souligner qu’il s’agit ici de jeunes qui sont aussi des consommateurs et de futurs travailleurs alors que dans d’autres pays il s’agit de vieilles personnes dont on ne peut rien espérer pour le futur. Ce sont les jeunes qui ont des aspirations à la consommation élevées (par exemple s’acheter un moyen de déplacement, une maison, un smartphone, des vêtements de toute sorte, s’adonner aux loisirs (services), etc.). Pourtant, tout comme lors des programmes d’ajustement structurel (et comme si la leçon n’avait pas été apprise par nos dirigeants), on préconise une réduction drastique de ces « charges », sans mentionner pour autant que le nombre de vieillards aussi tendra à s’élever et s’élèvera encore plus vite si la croissance démographique ralentit ; principalement en raison du fait que la mortalité baisse et que l’espérance de vie augmente. Les vieillards ne constitueront pas une charge moins importante que les jeunes car ils dépendront pour leur survie du travail de ceux qui sont actifs. On n’aura donc pas résolu le problème si, pour y échapper à cause des jeunes, on doit y faire face quelques années plus tard à cause des vieux. En agissant ainsi, on introduira inéluctablement un « déséquilibre » entre le nombre relatif de jeunes, de vieillards et la population active.
D’ailleurs en Afrique, et plus particulièrement au Niger, les tendances démographiques n’indiquent pas, comme en Europe, un accroissement des inactifs mais vont vers un accroissement du nombre de personnes actives. En d’autres termes, plus on avance dans le temps, plus le fameux « taux de dépendance économique » (encore une de ces notions inventées pour égarer les esprits et que nos hautes personnalités répètent comme des perroquets), tend à baisser. En raison du fait que la mortalité tend à baisser, que l’espérance de vie augmente et que tout ceci est croisé à une lente baisse de la fécondité, il en résulte une augmentation de la population active et une baisse relative des inactifs, ce qui est l’idéal recherché. Il est donc faux de claironner que le Niger va vers la catastrophe en raison du nombre de jeunes que les budgets sociaux, supposément, ne pourront pas supporter dans l’avenir. Ceux qui raisonnent ainsi se contentent de transposer les chiffres du présent dans l’avenir sans prendre en considération les tendances d’évolution des autres facteurs qui, eux aussi, sont en train de changer. Ils répètent inlassablement que la population double tous les 18 ans tout en oubliant de dire que ce n’est pas seulement la population qui aura augmenté dans 18 ans mais aussi très probablement tous les autres facteurs : production agricole ; PIB ; espérance de vie ; taux de scolarisation ; baisse de la mortalité ; etc. C’est pour cette même raison que le Niger d’aujourd’hui se trouve dans une meilleure situation qu’il n’était en 1980 bien que la population ait plus que triplé entre-temps. Or, nous avons toutes les raisons de croire que ce qui est vrai du passé le sera aussi du futur…et même mieux !