Monsieur le Recteur, pouvez-vous nous présenter succinctement l’Université de Tahoua (missions, nombre de professeurs et d’étudiants, nombre de classes et d’amphi, etc.)?
L’université de Tahoua a été créée en 2010. Elle fait partie de ce qu’on appelle les universités de la 2ème génération au Niger qui comprend l’université de Tahoua, l’université de Maradi et l’université de Zinder. Elle comporte pour le moment trois Facultés (la Faculté de Droit, d’Economie et de Gestion, la Faculté des Sciences Agronomiques et la Faculté des Sciences de l’Education) ainsi qu’un Institut Universitaire de Technologie.
En termes de personnel, ces quatre entités académiques sont gérées par 267 enseignants dont 66 permanents (43 enseignants chercheurs et 23 enseignants technologues), 201 contractuels, missionnaires et vacataires ainsi que 63 PAT ou personnel administratif et technique. Pour les étudiants, à la création de l’université en 2010/2011, il y avait 425 étudiants en 2010 et, aujourd’hui, en 2019-2020, il y a 6.324 étudiants et ce n’est pas définitivement clos. Ces chiffres montrent que l’université de Tahoua est très sollicitée. Donc, nous avons connu une augmentation exponentielle du nombre d’étudiants garçons et filles mais les garçons sont les plus nombreux ; malgré cela, le nombre des filles augmente dans l’absolu : ainsi, en 2010-2011, sur425 étudiants, il y avait 129 filles soit 30% et en 2019-2010, sur 6.324 étudiants, il y a 1.045 filles soit 16,52%.
Quelle est la vision de cette université ? cette vision au sens large est la gestion. Gestion du développement, gestion de la société, gestion du système éducatif tout court et gestion de la production agricole et de l’environnement. Les missions principales et classiques de l’université de Tahoua sont l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, la formation mais, parallèlement, elle fait des études et des travaux.
En terme de gouvernance, l’université de Tahoua est dirigée par un Recteur, un Vice-Recteur, un Secrétaire Général, un conseiller en Communication et un conseiller juridique, une Administration des entités, un Cabinet du Recteur et un Conseil de l’Université qui tient au moins 3 sessions par an.
En terme de partenariat, l’université de Tahoua est ouverte sur le monde : nous avons une convention de coopération avec les 7 autres universités publiques du Niger ainsi qu’avec des Universités du Nigeria), du Bénin, du Burkina Faso, du Sénégal, 113 IUT de France, la Conférence des Présidents des Universités (CPU) de France, Rutgers University dans le New Jersey aux USA, Kuntacky University aux USA, l’Université de Clermont Ferrand en France, le Programme Alimentaire Mondial, Concern Worldwide, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, le CIPMEN, etc.
Pour ce qui est des filières, nous avons 8 DUT ou diplômes universitaires de technologie (Communication des entreprises, Comptabilité et gestion des entreprises, Finance-Banque, Gestion Hôtelière et Touristique, Informatique de Gestion, Maintenance Informatique et Réseau, Management Logistique et Transport et Techniques de commercialisation), 22 Licences ( neuf Licences Professionnelles à l’UIT, 5 à la fac de Droit, 4 à la fac des Sciences Agronomiques et 4 également à la fac des Sciences de l’Education). Nous avons en plus 5 Masters à la fac de Droit (Master Droit Privé Fondamental, Master Droit Public Fondamental, Master Contrôle de Gestion et Système d’Information, Master Economie du Développement et de l’Environnement et Master Finance – Contrôle – Audit).
Au plan des infrastructures, nous avons 1 amphithéâtre de 330 places transformé en 600 places climatisé, 24 salles de cours presque toutes climatisées, 3 salles informatiques équipées et connectées à l’Internet de haut débit, 1 restaurant universitaire, 8 résidences universitaires, 10 bus de 70 places chacun, 1 minibus de 40 places, 1 site d’extension de 100 hectares ; nous avons aussi des Services Spécialisés (1 Ferme polyvalente, 1 Ferme d’expérimentation à grande échelle, 1 Forage pour irrigation et alimentation d’une profondeur de 45 mètres et 3 m3 en 45 minutes, 1 Centre caprins avec 19 pensionnaires où nous sommes en train d’expérimenter l’acclimatation de la chèvre rousse de Maradi, 1 jardin botanique, 1 Laboratoire de Recherche et d’Analyse en Développement Economique et Social (LARADES), 1 Bibliothèque centrale, 1 Cellule Assurance Qualité et LMD, 1 Atelier audiovisuel de traitement d’image et 1 Parc de production de volaille et de caprins).
Est-ce que les produits de vos fermes sont mis en vente ?
Pour le moment, nous vendons des semences de moringa à des organismes ; le moringa est sollicité jusqu’au plan international. Nous allons faire les semences d’oignon. Mais l’objectif de nos Licences professionnelles est d’apprendre un métier aux étudiants pour qu’ils aillent s’installer à leur compte sans se tourner vers la fonction publique : on vient de financer un projet de production avicole mais le premier objectif, c’est d’étudier le comportement de l’espèce animale ou végétale, d’apprendre aux étudiants et de les pousser à nous aider à nous passer des pintades du Nigeria ou de la tomate du Burkina Faso. Nous en tant qu’Université, nous disons ‘’Pourquoi ne pas booster la production en formant des gens qui peuvent être des producteurs et fournisseurs du marché national’’ ?
La première particularité des trois premières Universités publiques du Niger est leur naissance après des Instituts Universitaires de Technologie (IUT) : comment s’exerce la tutelle de l’Université de Tahoua sur l’IUT de la même ville ?
Je voudrai insister sur un point : l’IUT est une composante de l’Université au même titre que les Facultés.
La seconde particularité des Universités publiques du Niger est leur «spécialisation» ; est-ce que ce choix de la «spécialisation» est encore pertinent à l’épreuve du temps et des faits ?
C’est une très bonne question. La spécialisation d’un pôle universitaire ne se décrète pas. Elle s’impose ! Je vais vous donner un exemple : l’université de Diffa, qui est une université de la 3ème génération avait été créée pour se spécialiser sur le bassin du lac Tchad. Maintenant, elle fait de la ‘’déradicalisation’’. Ce n’est pas son travail mais celui des psychologues, des sociologues : or, la force des choses a amené l’université de Diffa à ouvrir une branche qu’on n’avait pas prévu. Tôt ou tard, il y a un aspect qui domine un pôle universitaire. Par exemple, la Faculté des Sciences de l’Education de Tahoua, créée en 2015, a déjà atteint les effectifs de la fac de Droit de Tahoua qui date de 2010/2011. Si elle ne la dépasse pas ! En fait, c’est la pertinence de l’enseignement qui fait la différence ; quand vous prenez la France, il n’y a pas une université qui n’a pas d’institut de sciences politiques ou un Département de sociologie ou d’histoire ; aux Etats-Unis, rares sont les universités qui n’ont pas de Département d’études africaines ou ‘’african studies’’ : mais, tout le monde n’est pas Harvard University où même des chefs d’Etat américains ont été formés.
Dans un brillant essai édité en 2011/2012, un ancien ministre de l’Enseignement supérieur de notre pays avait appelé à la réforme de l’enseignement en général et à la refonte de l’enseignement supérieur dans notre pays en particulier : en tant que premier et ancien Président de la Conférence des Recteurs, pouvez-vous nous dire pourquoi la communauté universitaire n’avait pas saisi la balle au bond pour transformer l’essai ?
La réforme des universités ne relève pas des recteurs ; elle relève de la politique nationale de l’enseignement supérieur ; c’est le gouvernant qui dit ‘’voilà ce que je veux dans le domaine des universités’’ et nous on s’organise en tant que spécialistes pour aboutir à çà. Néanmoins, l’ancien ministre Laouali Dan Dah avait raison d’écrire son livre sur la réforme des universités parce que la réforme est une quête permanente. On doit, de façon permanente, réformer les universités pour qu’elles répondent aux exigences d’une époque. Par exemple, dans le cadre de la réforme de Laouali Dan Dah lui-même, on a orienté l’université de Tahoua vers les Sciences de l’Education pour répondre à la crise du système éducatif, à la baisse du niveau. Et, toutes les Licences professionnelles répondent au problème de l’emploi qu’on rencontre parce que, si quelqu’un est bien formé dans un domaine, il peut s’installer à son compte et même être un employeur. Bref, on a des paramètres nouveaux comme le terrorisme, la migration, … auxquels on doit répondre par une recherche appropriée. On ne fait pas de la recherche et de l’enseignement comme au néolithique ou comme sous l’ère coloniale ou précoloniale.
Venons-en à la question qui fâche : est-ce que la particularité des missions d’enseignement et de recherche des Universités est compatible avec la « logique comptable » du Compte Unique du Trésor?
Le gouvernement veut savoir tout ce qui se passe sur la chaîne des dépenses publiques ; il a raison dans ce sens ; mais, il y a les réalités du terrain car, pour être opérationnel, il faut qu’on corrige cela et qu’on donne aux universités les moyens de la gestion quotidienne. S’il y a des questions urgentes, des missionnaires à inviter ou des choses à réparer sur le champ, je n’ai pas besoin d’envoyer un engagement au Trésor. Le gouvernement a raison de faire son compte unique mais, à côté, il faut peut-être ouvrir un compte avec une somme pas très élevée pour la gestion quotidienne des universités. Nous les recteurs, nous sommes en train de demander l’autorisation d’ouvrir un compte spécial pour résoudre les problèmes de la gestion quotidienne. Vous l’avez très bien dit, c’est vraiment la question qui fâche…
L’Université de Tahoua fêtera en Octobre 2020 son dixième anniversaire : quel bilan peut-on en tirer à ce jour ?
Un bilan positif et même très positif !
Quid enfin de la concurrence des Universités privées qui pullulent au Niger?
Vous avez de très bonnes questions. Si les universités privées pullulent, c’est un peu de notre faute, nous les universités publiques ; c’est parce qu’on leur a laissé le champ libre ; peut-être que nous n’avons pas fait la réforme nécessaire pour occuper le terrain ou développer la capacité d’absorption des bacheliers ou encore parce que nous sommes restés un peu trop exigeants, un peu trop rigoureux parce qu’on ne veut pas du tout venant dans l’enseignement. Dans le monde entier, c’est la concurrence entre universités; il y en a dont on cite les études et travaux; dans ce sens, moi, je n’ai pas peur de la concurrence. Si vous allez sur le terrain, observez les agents selon les universités d’où ils sortent ; il faut me dire quel professeur titulaire a fréquenté une université privée du Niger…