Jusqu’à présent, j’ai essayé tous les styles pour vous sensibiliser sur les questions essentielles de notre pays, sans succès. C’est pourquoi, je prends aujourd’hui ma casquette de petit frère et d’ancien pensionnaire du Lycée National de Niamey, que vous aviez fréquenté, en même temps que moi à la fin des années 60, pour vous écrire. Permettez-moi d’avoir une pensée pieuse pour les récents morts de la manifestation du 15 mars dont la liste ne fait que s’allonger et de présenter mes condoléances les plus attristées aux familles des victimes, et souhaiter un prompt rétablissement aux blessés.
En faisant leur déclaration le 4 mars dernier, vos partisans dont les qualités de mobilisation et d’engagement ont été appréciées par ce même peuple par le passé, ont sans doute perdu de vue les paroles qu’Alexandre Dumas, Artiste, Dramaturge, écrivain, qui a dit “Il y a des services si grands qu’on ne peut les payer que par l’ingratitude.”
Parce que différents acteurs de la vie publique réclament l’application des dispositions de la loi, le CEN du parti présidentiel, dans sa déclaration du 4 mars dernier, a estimé « qu’une grande campagne de dénigrement s’est mise en place, faisant le procès du régime et de notre parti...» ? Il a poursuivi en prétendant : « Il n’y a que sous notre régime qu’ont été acquis des avions de chasse ou des hélicoptères de combat sortis d’usine. Tous ces efforts dans le domaine de la sécurité, en résonance avec des efforts similaires dans d’autres domaines…ont été réalisés sans que la base de notre économie ait connu de changement fondamental.»
Cher grand-frère,
J’avoue que cette prétention de vos camarades m’a fendu le cœur. Ignoraient- ils ces mots de l’écrivain et artiste Henri - Frédéric Amiel proposant que « ce n’est pas ce qu’il a, ni même ce qu’il fait, qui exprime directement la valeur d’un homme : c’est ce qu’il est ».
C’est ainsi que je peux témoigner que vous avez bénéficié des bienfaits des ‘’régimes précédents’’, ce qui a fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui.
C’est pourquoi je me fais un devoir de vous le rappeler pour que vous le rappeliez à votre tour aux camarades.
Vos camarades, ignorent-ils, que dès votre tendre enfance, vous avez bénéficié comme moi des bienfaits de l’école publique nigérienne gratuite ? Ont-ils perdu de vue que le Gouvernement Djibo Bakary et ceux de la première République du Président Diori Hamani (paix à leurs âmes), vous a assuré une éducation de qualité à l’école publique gratuite ? Une santé gratuite et de qualité ? Ignorent–ils donc que les régimes du Président Diori et de Seyni Kountché vous ont gratifié d’une formation universitaire de qualité au Centre d’Enseignement Supérieur (CES), l’ancêtre de l’Université Abdou Moumouni Dioffo, et en France aux frais de l’Etat ?
Vous souvenez-vous, puisque votre mémoire ne peut vous faire défaut, que :
- Les cahiers et les livres et les fournitures scolaires nous étaient distribués à chaque rentrée et gratuitement ?
- Nous avions été habillés de la tête au pied par Garé de l’intendance du Lycée national : tenues kakis, chemise blanche et bleue, mocassins, souliers, chaussettes, sous –vêtements, tout nous a été offert. Cette garde-robe était renouvelée à chaque rentrée scolaire. Et cerise sur le gâteau, deux savonnettes nous étaient offertes par semaine pour la lessive et le bain ?
- Votre restauration, la mienne, a été assurée par Jean dit Johnson, Papa Amadou et Hassoumi du célèbre réfectoire du Lycée National ? Le petit déjeuner avec beurre et confiture, le déjeuner et le dîner avec couscous et macaroni étaient servis à l’heure…, les véhicules de fruits livrés par notre maman Hadjia Tacko ?
- Vous avez bénéficié d’un lit et d’un matelas dans des dortoirs ventilés, un luxe à l’époque ?
- Votre courrier et vos mandats vous étaient distribués par le brave vaguemestre Seydou ?
Souvenez-vous, Moumouni et Hado Ramatou Diori, les enfants de notre premier président étaient bien inscrits dans le même établissement que vous et moi. Ces derniers ne s’étaient pas inscrits par la suite à Harvard ou à Princeton. Le très sympathique Econome du Lycée national, Hassan SIDDO, veillait à ce qu’il ne vous manque rien. Nous, qui vous avions précédé dans ce Lycée national, avions bien chargé discrètement Handou, l’autre lycéen authentique, de ton bizutage, vous le «bleu de seconde» de la rentrée 1969 au Lycée National.
Mais je vous préviens, il m’a prié de n’en souffler mot, parce qu’il aspire à une retraite paisible. A l’université, vous aviez bénéficié, dès 1971, d’une bourse d’un montant de 22.500 FCFA, passée à 35.000 FCFA en 1974, couplée à une bourse d’équipement conséquente, versées à terme échu en début d’année. Ce qui vous a permis de mener vos études dans la sérénité.
Vous aviez par la suite été programmé, comme tous les étudiants, pour servir dans un ministère à la fin de vos études, grâce à une planification qui force aujourd’hui l’admiration, quoiqu’on puisse reprocher à « ces régimes précédents ». Vous l’avez-vous-même confessé à votre biographe attitré : sans l’école…« j’aurais certainement connu le sort de ces milliers de jeunes qui ont cherché le salut dans l’exode ». (C.f J.A. du 21 juin 2017).
Vos camarades, en faisant leur déclaration, devraient se souvenir que, dès l’année suivant votre sortie de l’école des mines de Saint-Etienne, vous aviez été nommé ou coopté, comme Directeur des Mines, en 1980, par le président Seyni Kountché. Ce dernier a même consenti à vous accorder un détachement comme Secrétaire Général puis Directeur des Mines de la Somair, une aubaine à l’époque accordée à des privilégiés. Pourtant, vous n’étiez ni originaire de Fandou encore moins de Damana son terroir.
Pourtant, l’une de vos premières propositions fortes à la Conférence Nationale Souveraine de juillet 1991 a été de débaptiser le stade qui portait son nom, lui qui aura rempli son contrat en plaçant un cadre méritant.
La légende dit que ce fut le pactole d’un « départ volontaire » de deux hauts cadres de l’administration détachés, devenus enfants d’une société minière exploitant le sous-sol nigérien, formés à grands frais par l’école nigérienne, qui a permis à un parti dit « socialiste » de prendre son envol.
Mais je tiens à le préciser, ce n’est qu’une légende.
Ne serait-ce que, pour tous ces bienfaits hérités « des régimes précédents », ne pensez-vous pas que les camarades se devaient d’être plus indulgents à leur endroit ?
Ne pourriez-vous donc pas également rappeler à vos camarades, que c’est un régime précédent qui a rappelé au chevet de notre pays en aout 1996, le pays de la grande muraille qu’ils avaient contribué à congédier, en 1992. C’est ce pays qui a rendu possible l’exploitation de notre pétrole et ses retombées financières, qui leur ont permis de réaliser depuis 2012 les investissements qu’ils exhibent fièrement à la face du monde aujourd’hui ? N’est-ce pas ce pays, qui, Lettre au grand-frère Issoufou Mahamadou sur l’ingratitude de ses camarades à l’endroit « des régimes précédents »
(Suite en page 7) selon les dépêches de son agence de presse, vous a accordé une ligne de crédit de 2 milliards de dollars, dont la moitié a été annulée par l’Assemblée nationale, qui ont servi à réaliser « des investissements dits structurants », selon votre terminologie ?
Pour toutes ces raisons, en tant qu’ancien du Lycée National, j’avoue que je suis plus que peiné.
Ils devraient, ces camarades, s’ils sont raisonnables, se rappeler que « les régimes précédents » leur avaient permis de faire des Journées d’Initiatives Démocratiques (JID), des Journées d’Actions Démocratiques (JAD), des Journées Anti Tazatché (JAT) même les jours ouvrables. Que ces « régimes précédents » leur avaient permis tant bien que mal, au nom de la démocratie, de fustiger, condamner, et insulter.
Ce que votre régime n’accepte pas aujourd’hui.
Parce que vos camarades vous prennent pour un homme providentiel, qui a droit de vie et de mort sur ses compatriotes. Vos camarades de parti, croient-ils véritablement vous rendre service en vous créditant de tant de prouesses dignes d’un pharaon ? Si c’est le cas, je vous prie de leur faire comprendre que l’Etat c’est une continuité, si vous en êtes convaincu. La brave présidente du Conseil Constitutionnel de Transition, Madame Salifou Fatoumata Bazèye, on s’en souvient, vous avait pourtant mis en garde contre ces laudateurs dès votre première investiture à la haute charge en avril 2011, en vous rappelant la formule : « gardez- moi de mes amis…. ». Pour ma part, j’ajouterais que, si vous n’y prenez garde, ils parviendront à vous faire croire que le soleil ne se lèvera pas tant que vous n‘aurez pas signé un décret.
Pourtant, en tant que musulmans croyants, il n’est pas nécessaire de leur rappeler les paroles d’Allah –puisqu’au regard d’Allah (qu’Il soit exalté), c’est ainsi qu’Il dit : “ En vérité, Allah n’aime pas les gens pleins de gloriole. “ (Sourate16, Verset 23).
Respectez votre serment coranique en libérant les acteurs de la société civile et les étudiants injustement interpellés, qui n’ont fait qu’exercer leurs droits constitutionnels de manifester, matérialisés par une loi portant code de transparence pour ce qui concerne la gestion des finances publics !
Acceptez, cher grand frère, mon salut fraternel.
Djibril Baré, Ancien pensionnaire du Lycée National de Niamey (1967-1974)