Au Niger, quelque 1 500 détenus dont l'opposant Hama Amadou ont bénéficié d’une remise de peine pour désengorger les prisons face à la menace du Coronavirus. Des mesures similaires ont été décidées dans d’autres pays. Pour Frédéric Le Marcis, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), les prisons peuvent en effet être une machine à produire le risque viral au détriment de leurs prisonniers et de toute la population.
RFI : Frédéric Le Marcis, au moment où l’on parle un peu partout de distanciation sociale, à quel point est-ce que les prisons du continent sont peuplées ou surpeuplées ?
Frédéric Le Marcis : Les prisons du continent africain sont largement surpeuplées, même si d’un pays à l’autre on observe des différences. Je vous donne quelques exemples : en Guinée, on est à 156 % de surpopulation, au Burkina 189 % et en Afrique du Sud, on est à 137 % de surpopulation. Cette question est caractéristique du continent africain, elle n’est pourtant pas complètement différente de la question carcérale en général. On est en France à 115 % de surpopulation carcérale.
En fait, ce qui est important de souligner, c’est que, sur le continent africain, on enferme très peu. Au Burkina on n'a que 39 détenus pour 100 000 habitants. En Guinée, on a 28 détenus pour 100 000 habitants, alors que dans les pays européens comme en France, on a 104 pour 100 000 habitants. C’est-à-dire que la question n’est pas qu’on enferme trop, c’est plutôt qu’on enferme mal.
Concrètement, qu’est-ce que cette surpopulation veut dire pour les détenus ?
À la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), vous avez des cellules où une soixantaine de détenus peuvent dormir à terre. À la Maison centrale d’Ouagadougou, vous avez des cellules qui font peut-être 6 m², dans lesquelles vingt détenus dorment à terre, dont certains dorment dans la douche. Afin d’avoir un semblant de fraîcheur, ils dorment dans un fond d’eau, car ces cellules ne sont pas aérées.
Des prisons surpeuplées, donc, et dans lesquelles, écrivez-vous dans l’un de vos textes, « L’absence d’eau courante reste la norme ».
Oui, dans le meilleur des cas, vous pouvez avoir maintenant, comme à la Prison centrale de Conakry qui vient d’être rénovée récemment, des fontaines d’eau dans la cour. Mais à la prison de la MACA, à Abidjan, où il y a autour de 5 000 détenues, il n’y a pas d’eau courante dans les cellules. Cela veut dire que dans les bâtiments qui ont jusqu’à quatre étages, tous les matins, une noria de détenus qui, pour gagner une pitance dans l’établissement, vendent leur force de travail aux autres détenus et montent des sceaux tous les matins dans chaque cellule, jusqu’au 4e étage.
Il faut ajouter à la question de l’eau la question du savon. Évidemment, dans la prison, il n’y a pas de moyen d’aller acheter ou de se faire donner du savon facilement, donc les détenus s’appuient sur les dotations de savon fourni par l’administration.
Une autre caractéristique des prisons africaines et des prisons en général, c’est que les publics que l’on retrouve dans la prison sont des publics vulnérables. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’à leur entrée en prison, ils représentent déjà des caractéristiques sanitaires qui sont problématiques, des taux d’infection au VIH ou de tuberculose, dès le départ plus importants que la population générale.
Une fois en prison, cette réalité initiale, qui est déjà problématique, est amplifiée par les conditions de l’incarcération, la promiscuité, l’absence de prise en charge… Si bien que l’on peut parler, à propos de la prison, d’une machine, finalement, à produire et reproduire le risque viral.
Et cette machine risque donc d’être très destructrice en cette période de crise du coronavirus ?
Absolument. Et notamment parce qu’on a une image tronquée de la prison. Quand on pense à la prison, on imagine un espace clos, fermé d’un mur. Alors qu’en fait, s’il y a une chose qui caractérise l’espace carcéral, c’est la circulation du dedans au dehors. Il faut imaginer que, dans les prisons africaines, pour s’alimenter, les détenus sont obligés de compter sur la livraison de repas apportés tous les jours par les familles. Donc il y a une première grande circulation.
Deuxième grande circulation, on oublie trop facilement tout l’ensemble de l’administration pénitentiaire et des gardiens, auxquels il faut ajouter l’important « turnover » des détenus dans les prisons. Par exemple, en Guinée, on a par mois environ 200 détenus qui entrent et 200 détenus qui sortent. Donc cette circulation de biens et de personnes entre le dedans de la prison et le dehors, est en fait le canal que va emprunter le virus qui se reproduit au sein de la prison. Et c’est pour cela que ça pose, évidemment, une question importante en termes de gestion de l’épidémie et en l’occurrence de gestion du Covid-19.
Du coup, qu’est-ce qui pourrait être fait pour éviter une catastrophe carcérale en Afrique ?
Les premières choses à faire sont des choses que l’on a déjà observées notamment en Ethiopie, où l’on a libéré cette semaine 6 000 détenus, ou le Sénégal, qui a libéré 2 400 détenus. L’enjeu est, autant que faire se peut, d'organiser une distanciation sociale au sein de la prison.
Donc, une première chose est d'organiser rapidement la libération de détenus dont les peines sont arrivées quasiment à échéance, ou alors de détenus pour lesquels le jugement va arriver dans très longtemps. La deuxième chose qu’il est urgent de faire, ce sont des mises en place de barrières de prévention qui permettraient à la fois de tester les gens qui entrent, pour ne pas faire entrer le virus au sein de la prison, et également de tester les gens qui sortent, pour ne pas qu’ils sortent avec le virus.
Cela veut dire, prendre la température, mettre en place de l’accès à l’eau et au savon, et également équiper les agents de santé qui sont dans la prison d’outils de protection (des masques, des gants et des sur-blouses), afin de leur permettre de continuer à prendre en charge les détenus, sans s’exposer eux-mêmes aux risques de contamination.