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Le Président Issoufou sur France 24 : Encore une communication ratée

Publié le dimanche 12 avril 2020  |  Le Canard En Furie
Mahamadou
© RFI par DR
Mahamadou Issoufou, le président du Niger, lors d`une interview à RFI et France 24.
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Le Président nigérien – c’est connu – est un accro des médias et pour ce, il ne rate, par son intellectualisme débordant, aucun événement mondial pour se faire entendre sur un de ces médias internationaux. Et les Nigériens se demandent pourquoi il aime tant parler au lieu d’être un homme d’action, discret et plus convaincant. Peut-il savoir que communiquer c’est prendre des risques ? Surtout lorsqu’on en fait trop, l’on sait que l’on ne peut qu’avoir l’effet contraire escompté surtout quand les idées qu’on va défendre sur ces médias sont en déphasage avec ce que pensent les peuples. Depuis sa dernière intervention en exclusivité sur France 24, Issoufou est encore incompris et les Africains, comme lors de son engagement solitaire mais très volontariste aux côtés de l’Union Européenne dans la lutte contre la migration, n’expriment que de l’indignation face aux propos qu’il y avait tenus. Il n’y avait qu’à voir l’avalanche de commentaires que sa dernière intervention exclusive sur le média français a provoquée sur la toile avec des africains ulcérés de l’entendre défendre une certaine opinion qui ne vise qu’à charmer des partenaires occidentaux qui ont appris à compter sur lui ces dernières années dans les agendas qu’ils viennent défendre chez nous. L’homme qu’on a vu en duplex sur France 24, n’est plus le même qu’on connaissait si vivace, si loquace. C’est un homme las, oppressé et certainement stressé par les préoccupations médicales que pose la pandémie depuis des semaines, presque inquiet face aux défis immenses insurmontables qui se dressent sur la fin terrible de son deuxième et dernier mandat, mais rêvant peut-être d’un dépassement toléré que pourraient lui offrir sur un plateau d’argent la pandémie et le terrorisme. L’on sait qu’il y a d’une part la crise politique, la crise financière et d’autre part la pandémie du coronavirus qui vient surprendre avec des charges imprévues qu’elle impose à un budget en difficulté mais aussi l’impact qu’elle porte sur un chronogramme électoral déjà incertain ainsi que l’avait déjà relevé le parti de Seini Oumarou depuis quelques mois, mais sans s’en préoccuper outre mesure. Malheureusement, il y a davantage. Le terrorisme reste toujours là avec des partenaires peu motivés à venir au Sahel. On aura d’ailleurs remarqué qu’Issoufou Mahamadou, à la question du journaliste de France 24 qui lui demandait s’il a des assurances quant au maintien des forces françaises au Sahel, n’a pas pu donner une réponse claire, supposant seulement et diplomatiquement que la France dont il prétend connaitre l’engagement, ne peut que rester aux côtés des partenaires sahéliens. Pourtant tout le monde sait que ce n’est pas certain quand on sait aussi que cette France comme beaucoup d’autres partenaires, a été prise de court par la pandémie qui lui a imposé des charges nouvelles, colossales pour protéger sa population. Peut-on d’ailleurs motiver des partenaires quand pendant qu’ils se battent à nos côtés, ici, l’on cherche à faire du business à s’enrichir, se servant de la guerre pour amasser de l’argent facile dans l’indifférence des tragédies qui frappent le pays et son armée ?

Le hic étant, dans ces conditions, qu’on ne puisse même pas sanctionner ceux qui se sont rendu coupable de tels actes immoraux et antipatriotiques car rassurés de la protection du système. Issoufou, peut-il convaincre qu’on lui donne encore quand il ne peut faire la lumière sur de tels crimes ? Peut-il ignorer que la presse hexagonale en parle beaucoup ces derniers temps ? Curieusement d’ailleurs, ce sont ceux qui, dans cette République bananière, demandent justice pour cette affaire scabreuse qui vont en prison en lieu et place de ceux qui sont passibles de crimes économiques, et de crime tout court. Il est donc difficile, avec de tels actes qui frisent l’irresponsabilité, de convaincre des partenaires à rester pour se battre à nos côtés. Il y a quelques jours, Jeune Afrique, dans une de ses parutions, montre d’ailleurs les hésitations de certains partenaires qui ne brillent plus pour venir au Sahel. En effet, note le journal panafricain, « Le 5 décembre 2018, dans un salon de l’hôtel Méridien Étoile, dans le 17e arrondissement de Paris, un conseiller du ministre d’État saoudien aux Affaires africaines, Ahmed bin Abdulaziz Al-Qattan, confirmait à l’amiral Édouard Guillaud, alors patron de l’Office français d’exportation d’armement (ODAS), que son pays s’engageait à verser 100 millions de dollars pour aider à l’équipement du G5 Sahel. Cette somme devait, suite à un accord entre la France et l’Arabie saoudite, servir à acheter du matériel français, notamment des véhicules blindés de marque Arquus (utilisés au Tchad depuis plusieurs années), qui seraient livrés aux armés sahéliennes. Mais, un an et demi plus tard, les cent millions sont toujours dans les caisses de Ryad ». Pourquoi cette rétention de fonds promis ? Allez savoir !

Cette communication du président ne se fait pas dans un contexte qui peut d’ailleurs lui est favorable. Au-delà de ces réalités du pays que nous évoquons, il se trouve qu’au plan international, d’autres faits ne peuvent arranger les choses au système pour qu’il ait la chance de se faire écouter dans un monde qui a appris à se méfier de lui et notamment de son double langage. En effet, après les événements consécutifs à la manifestation citoyenne qui demandait que le dossier de l’audit au ministère de la Défense soit transmis à la Justice conformément à la volonté du syndicat des magistrats du Niger et de l’ensemble des Nigériens, et qui avait été violemment réprimée, un groupe de deux députés de la France Insoumise, a écrit à Jean-Yves LE DRIAN, ministre des Affaires étrangères de la France, pour lui faire part de ses vives préoccupations, relativement à la situation du Niger et notamment le sort des acteurs de la société civile dont le tort est d’avoir demandé justice dans cette affaire pour laquelle les Nigériens continuent à se battre et à demander justice. Alexis Corbière, Député de Seine-Saint-Denis et Danièle OBONO, Députée de Paris s’indignaient du raidissement du pouvoir de Niamey. Ils rappelaient d’ailleurs qu’en novembre 2018 déjà, le Groupe de la France Insoumise « avait alerté sur la répression exercée par le pouvoir nigérien contre son opposition politique et les défenseur- ses des droits humains dans le pays ». Ils disent écrire encore pour « attirer l’attention [du ministre] sur une nouvelle dérive autoritaire à l’oeuvre au Niger ». La lettre est récente, elle est du 27 mars 2020.

Les deux députés ne peuvent alors comprendre en démocratie les griefs pour lesquels les acteurs de la société civile sont envoyés en prison alors même qu’au même moment des voleurs sont en liberté. Ils s’indignaient qu’ « En réaction immédiate, les manifestant-es ont fait l’objet de poursuites pour «participation à une manifestation non autorisée ». Le lendemain, huit membres de la société civile nigérienne ont été arrêtés du fait de leur participation à cette initiative » qui n’avait pourtant pas eu lieu la nuit ainsi que s’en plaignaient les autorités nigériennes en une époque. Mais on comprend bien les appréhensions du pouvoir de Niamey.

Il y a quelques semaines, devant la presse française, Issoufou Mahamadou, évoquant les manifestations dans son pays, disait ne pas voir de foule. Il fallait donc empêcher que l’on ne voie des foules dans un pays où l’on avait prétendu qu’il n’en y avait pas. Rappelant le cas de ce lanceur d’alerte et activiste de la société civile arrêté et envoyé en prison et dont « [le] seul crime avait été de publier un post sur le réseau social Facebook alertant sur un cas suspect de coronavirus au service des urgences de l’hôpital de référence », les députés français estiment que ce sera impardonnable de ne pas agir face au gouvernement de Niamey.

Les députés français trouvent d’autant plus préoccupante la situation au Niger qu’ils relèvent que « Les pressions sur les journalistes et les atteintes à la liberté d’expression ne sont pas nouvelles au Niger. Depuis quatre ans elles font l’objet de dénonciations régulières sans que de véritables changements ne voient le jour. Pire, la crise du coronavirus offre un prétexte pour mener cette répression au grand jour ». Ils ne sont d’ailleurs pas seul à s’offusquer de cette situation des libertés au Niger car précisent-ils : « A l’instar de plusieurs associations et ONG tels que l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, nous dénonçons cette nouvelle vague d’arrestations arbitraires et d’atteintes à la liberté d’expression ». La France, peut-on comprendre, à défendre son image dans le monde, en restant fidèle aux valeurs qu’elle dit porter et qu’elle promeut dans le monde comme idéal universaliste. C’est sans doute cette préoccupation à conserver un tel label qui anoblit la France et son passé, le génie et l’esprit de ses enfants qui ont marqué son histoire, qui motive cette interpellation de ces consciences françaises. Aussi, disent-ils :« Nous devons oeuvrer à la sauvegarde du pluralisme politique et de la liberté d’expression au Niger comme partout ailleurs dans le monde et la situation actuelle demande d’activer nos outils de diplomatie. Les liens que nous avons entretenus avec le Niger dans le cadre de l’opération Barkhane augmentent d’autant plus la responsabilité de notre pays à tout faire pour y protéger les droits humains et les libertés ». Le temps est révolu où cette France qui n’avait plus d’amis mais des intérêts pouvait, sans problème de conscience, soutenir des potentats au détriment des peuples.

Quand des Français interpellent la France, c’est que le problème nigérien, peut-on en convenir, est connu en dehors de nos murs. Et la réputation d’un régime est désormais en jeu, davantage érodée par ses actes de malgouvernance qui remplissent les colonnes des journaux français. Sensément, Issoufou, pouvait-il dans un tel contexte défavorable, sortir pour mener une communication sans prendre des coups ?

Le régime de Niamey a sans doute atteint le seuil de l’intolérable au point de se pousser dans un isolement, dans un certain confinement, si ce n’est sanitaire, sans doute diplomatique au plan international et politique au plan national car à la fin, on aura remarqué que même ses alliés ne posent plus avec lui pour faire solidairement une déclaration sur la vague d’indignation soulevée par les résultats révoltants de l’audit des fonds alloués à l’armée nationale en guerre. Personne ne voulait s’approcher. Et il y a de quoi.

Les deux députés de la France Insoumise l’ont compris. Leur appel à l’endroit du gouvernement français qui pourrait être comptable de ce qui pourrait arriver à ce pays par son comportement, tant par son action que par son inaction, se fait sans détour : « Nous vous demandons donc d’user de tous les moyens diplomatiques à votre disposition afin que le gouvernement du Niger mette fin à ces dérives et que la France intervienne pour obtenir la libération des prisonniers politiques ». C’est d’autant grave que l’on reconnait ici l’existence de « prisonniers politiques », toute chose que réfute le régime et qui reste une salissure sur la réputation du régime. C’est aussi préoccupant quand on sait que c’est le Président du Niger luimême, lors de son interview à distance – coronavirus oblige – qui demandait à parfaire la gouvernance mondiale qui, à ses yeux, n’est pas irréprochable. Mais comment peut-on demander une bonne gouvernance au niveau mondial quand, au niveau des Etats, l’on ne peut déjà donner l’exemple, le bon exemple. Cela fait partie des contradictions que l’on peut relever dans cette communication qui n’aura pas été capable de se faire dans un contexte qui pouvait lui être favorable. C’est comme se mettre la corde au cou comme si la Renaissance souffre d’un drame et d’un complexe oedipiens.

Et les Nigériens étaient d’autant choqués que celui qui partait pour parler sur France 24 manque de solutions locales à la pandémie et va là, juste, pour solliciter de la part des partenaires, reconnaissant au passage la faiblesse des économies africaines et des systèmes de santé du continent, un « plan Marshall » qui sauve le continent de la pandémie ? Serait-il d’ailleurs le porte-parole du continent pour se charger d’une telle mission ? Quand nos dirigeants, finirontils par compter sur eux-mêmes ? Pourquoi ce Niger où la corruption et la mauvaise gestion se portent bien, peut-il manquer de pudeur pour aller tendre une sébile au nom de l’Afrique ? Comment les systèmes de santé, les économies et les système éducatifs peuvent-ils se porter bien quand dans les pays on n’est pas capable de réprimer la corruption et la concussion aujourd’hui tolérées, souvent même encouragée quand ceux qui peuvent les dénoncer, contre toute attente, doivent, pour leur audace et leur hargne, aller en prison, à la place des voleurs, laissant impunis ceux qui sont coupables d’aussi ignobles actes.

Comment ne pas lire, dans cette interview le désarroi d’un dirigeant qui sait qu’il fait face en même temps à plusieurs fronts et que les moyens lui manquent cruellement pour y faire face.

Les Nigériens ont aujourd’hui de bonnes raisons de s’inquiéter : leur pays n’a jamais été aussi incertain. Un front national et nationaliste pourrait-il être la solution ? Seul Issoufou peut le décider. Pour le reste, il pourra assumer, s’assumer aussi.

Comme dirait un autre, ce pays a besoin de prières.

Pauvres de nous.

AI
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