C’est Ouhoumoudou Mahamadou, selon des sources concordantes, qui serait chargé de recouvrer les fonds dilapidés du ministère de la Défense nationale. Placé, dit-on, à la tête d’un obscur comité dont on ignore tout de l’identité et de la qualité des membres, le directeur de Cabinet du Président Issoufou est pourtant, lui-même, impliqué dans maints dossiers dont un, au moins, lui a valu sa disgrâce aux premières heures de la 7e République.
Le Cabinet du Président Issoufou se serait-il substitué à la justice pour faire comme bon lui semble ? Ouhoumoudou est-il fondé à demander des comptes à la place de la justice ? Une histoire qui corrobore la volonté, colportée par la rumeur publique, qu’il a décidé au sommet de l’Etat et au sein du Pnds, que personne ne sera poursuivie dans cette affaire.
Le gouvernement n’a, certes, aucune volonté de permettre à la justice d’entendre toutes les personnes impliquées dans cette affaire. L’affaire recouvre sans doute des dimensions que le chef de l’Etat ne veut que l’opinion découvre. Si le Président Issoufou, chef suprême des armées et premier magistrat du pays, dit-on, ne semble pas en accord avec le ministre de la Défense nationale sur le sort des mis en cause, il y a forcément anguille sous roche, dit-on dans les milieux de la société civile. Au-delà de ses collaborateurs, y a-t-il des proches du Président Issoufou pour qu’il ne veuille pas de la procédure judiciaire ? Si certains ne prennent aucune précaution pour l’affirmer, les faits et les moeurs du régime prouvent toutefois que ce n’est pas forcément la raison de la réticence du président de la République. Il n’y a pas qu’au ministère de la Défense où des fonds publics importants ont été détournés. C’est pratiquement la marque de fabrique du magistère d’Issoufou Mahamadou et il n’y a pas eu la moindre poursuite judiciaire contre les mis en cause.
Les cas sont légion : l’achat de l’avion présidentiel, piloté par son Cabinet, dirigé à l’époque par Hassoumi Massoudou ; le contentieux Africard ; les milliards détournés à la Centrale d’achat d’intrants et de matériels agricoles (Caima) ; les 15 000 tonnes de l’aide alimentaire pakistanaise, etc. Avec Issoufou Mahamadou, c’est à qui prendra le meilleur sur les autres, comme dit Maïkoul Zodi.
Les civils fournisseurs, ne sont pas les «cerveaux» des détournements
Qui sont ces individus qui semblent au dessus de la loi ? C’est la question qui fait les débats à Niamey. Si des noms circulent et que l’on sait que les intéressés sont tous logés à la bonne enseigne sous la 7e République, les listes ne sont ni exhaustives ni suffisamment parlantes puisqu’elles ne rendent pas compte du niveau d’implication des uns et des autres. Les fournisseurs ne sont pas les «cerveaux» des détournements. Ce sont des hommes d’affaires qui ont, certes, fourni des armes et des munitions défectueuses en contrepartie de fortes sommes d’argent n’ayant aucun rapport avec ce qu’ils ont livré. Ils ont également accepté d’endosser de faux marchés, de fausses factures pour faire soutirer, en parfaite entente avec des complices tapis dans les rouages de l’administration, des milliards qui ont garni leurs comptes bancaires. Mais, où sont leurs complices de l’administration de la Défense, truffée d’officiers supérieurs qui ont, pour certains, marché dans toutes les combines pour s’enrichir au détriment de l’Etat et de l’armée dont les soldats se font canarder parce que ne disposant pas d’armements et de munitions en qualité et en quantité adéquates.
Qui sont ces militaires qui ont accepté, en toute conscience, de poignarder leurs frères d’armes dans le dos, comme dirait le Président Issoufou ?
Des noms et des photos de personnes connues de la rumeur publique comme étant impliquées dans le dossier circulent. Parmi les officiers supérieurs de l’armée dont les noms circulent sur les réseaux sociaux, il y a notamment le général Boulama et le général Karingama. Et ils ne sont pas seuls, sans doute. Mais nombre d’entre eux sont encore à l’ombre, couverts par la non-publication du rapport d’audit. Mais aussi par la volonté du Président Issoufou, garant de cette justice à double vitesse. La solution de faire payer les mis en cause est d’abord une procédure illégale dans les détournements de deniers et biens publics, solidement encadrée par le Code pénal et le Code de procédure pénale. Nulle part, il n’est dit que les auteurs peuvent être exonérés de poursuites pénales lorsqu’ils s’engagent à rembourser. C’est, donc, une procédure personnalisée qui s’écarte des voies du droit pénal nigérien, l’unique objectif étant de couvrir les responsables des malversations commises.
Pour les organisations de la société civile, le Niger est dirigé par une bande d’imposteurs
Malgré la pandémie du coronavirus et les craintes qu’elle suscite, l’espace public nigérien est marqué par la question des fonds de l’armée détournés. Une question qui n’a manifestement pas fini de faire couler de l’encre et de la salive, certains citoyens, notamment dans les milieux de la société civile où l’exigence d’une reddition des comptes des acteurs est plus que jamais forte. La semaine dernière, encore, les organisations de la société civile ont fait une déclaration de presse dans laquelle ils n’ont pas manqué de marteler cette exigence. Mais, elles ne croient pas, selon toute vraisemblance, au moindre sursaut de la part des gouvernants actuels pour faire rentrer l’Etat dans ses droits et faire payer, de leur liberté, les auteurs des malversations mises à nu. Pour preuve, elles n’ont pas hésité à traiter les gouvernants de « bande d’imposteurs ayant caporalisé le pays ». Les organisations de la société civile, tout comme de très nombreux citoyens ne croient ni au Président Issoufou et en son gouvernement, ni au système judiciaire tel qu’il est dirigé aujourd’hui.