L'alinéa 3 de l’article 47 de la constitution et l'article 8 du code électoral, suscitent des débats et notamment au regard des questions qu'ils soulèvent concernant l'éligibilité du candidat du principal parti au pouvoir et celle du chef de file de l'opposition. Les positions des uns et des autres, loin de s'infléchir, se cristallisent, rendant les échanges de plus en plus tendus et ce, à quelques mois des échéances électorales. Mais au-delà de la dimension conjoncturelle des débats, ces articles méritent des réflexions beaucoup plus soutenues, apolitiques et émanant d'acteurs issus de tous les horizons. Tant ils véhiculent, implicitement ou explicitement, des idées susceptibles de porter atteinte aux principes républicains et de compromettre, à court ou moyen termes, la cohésion sociale.
En effet, l’article 47 de la constitution nigérienne stipule, au niveau de l’alinéa 3, que : « sont éligibles à la présidence de la République, les Nigériens des deux (2) sexes, de nationalité d’origine, âgés de trente-cinq (35) ans au moins au jour du dépôt du dossier, jouissant de leurs droits civils et politiques ».
La notion de « nationalité d’origine », ne différencie pas seulement les Nigériens des étrangers. Elle crée une différence entre les Nigériens eux-mêmes, avec d’un côté les détenteurs de la nationalité nigérienne qui sont nés d’au moins un parent nigérien et, de l’autre côté, ceux qui ont acquis la nationalité nigérienne à l’issue d’une procédure de naturalisation. Les premiers sont éligibles à la fonction présidentielle, et les seconds ne le sont pas. Les uns peuvent ainsi jouir de l’intégralité de leurs droits civiques et les autres sont indéfiniment privés de la possibilité de présenter une candidature à l’élection présidentielle.
Alors, comment pourrait-on ne pas craindre, dans ces conditions, que cette notion de « nationalité d’origine », ne soit pas perçue comme une sorte d’hiérarchisation des citoyens ? Comment pourrait-on, en d’autres termes, empêcher les Nigériens naturalisés d’avoir l’impression d’être des « citoyens de seconde zone » ? Comment pourrait-on avoir et garder la certitude que cette disposition n’alimenterait pas, dans un avenir proche ou lointain, des réflexes assimilables aux remous nationalistes, dans l’acception xénophobe du terme, que l’on observe ailleurs et qui seraient aux antipodes de la légendaire tradition d’accueil, d’hospitalité et de solidarité du peuple nigérien ?
Ces questions doivent sonner, dans l’esprit de chaque citoyen nigérien, comme un appel à la recherche des moyens permettant non pas d’enfreindre ou de fragiliser l’égalité républicaine, mais de promouvoir les principes et les pratiques qui la sous-tendent, de manière à léguer aux générations à venir, une culture socio-politique résolument ancrée dans la promotion du vivre-ensemble et favorable à une valorisation productive de la diversité du peuple nigérien. L’exploration des expériences menées avec succès dans certains pays, pourrait à cet égard s’avérer utile.
On peut cet effet évoquer l’exemple de la France, qui avait opté, à propos de l’élection présidentielle, pour le principe d’une inéligibilité temporaire, concernant ses citoyens d’adoption. La loi électorale n° 62-1292 du 6 novembre 1962 II article 3, prévoyant que : « les étrangers naturalisés ne sont éligibles qu'à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date du décret de naturalisation. » Cette disposition a d’ailleurs été supprimée après l’accession de la gauche au pouvoir, à travers la loi organique n° 83-1179 du 20 décembre 1983. Ce qui donne littéralement les mêmes droits aux « Français de souche » qu’aux Français naturalisés quant à la possibilité de briguer un mandat à la magistrature suprême de leur pays.
Le principe de l’inéligibilité temporaire avait permis par exemple à Edouard Balladur, d’origine turque et né en Turquie, de se présenter à l’élection présidentielle de 1995, après avoir été Premier Ministre de 1993 à 1995. Il en est de même, d’une certaine manière, pour l’ancien Premier Ministre Manuel Valls, d’origine espagnole et né à Barcelone, qui s’est présenté aux primaires socialistes de 2011 et 2017, en vue de briguer la magistrature suprême de son pays d’adoption.
Le Niger pourrait aussi, avec ne serait-ce qu’une petite dose de bonne volonté de part et d’autre, examiner les possibilités d’évoluer vers le principe d’une inéligibilité temporaire. Ce qui serait moins discriminant pour les « Nigériens d’origine extérieure ». La démarche aurait ainsi au moins le mérite de concilier les préoccupations qui ont conduit à l’insertion de cette disposition dans la constitution, avec le principe de l’égalité républicaine.
De ce point de vue, les modifications apportées à l’article 6 de la Loi n° 2017-64 du 14 août 2017 portant code électoral du Niger, relatives aux modalités d’exercice du droit de vote des Nigériens naturalisés, pourraient offrir une issue à travers laquelle on pourrait également introduire des dispositions concernant l’éligibilité des Nigériens d’origine étrangère à l’élection présidentielle et les autres types d’élection. Et ceci, sans avoir à recourir à la modification de l’alinéa 3 de l’article 47 de la constitution.
Concrètement. Dans l’ordonnance n° 2010-96 du 28 décembre 2010 portant code électoral, l’article 6 a été formulé en ces termes : « sont électeurs toute Nigérienne et tout Nigérien âgé (e) de dix-huit (18) ans révolus au jour du scrutin ou mineur(e) émancipé(e), jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun des cas d’incapacité prévus par la loi ». Et dans les modifications de 2017, on peut lire, en plus de cet énoncé, les précisions suivantes :
« Sont aussi électeurs, les étrangers ayant acquis la nationalité nigérienne par mariage ou par naturalisation.
Toutefois, l’étranger ou l’étrangère ayant acquis la nationalité nigérienne par mariage ne peut, pendant une durée de cinq (5) ans, être investi de fonctions publiques ou de mandats électifs pour l’exercice desquels la nationalité nigérienne est exigée.
Pendant une durée de dix (10) ans à partir du décret de naturalisation, l’étranger ou l’étrangère ayant acquis la nationalité nigérienne ne peut être investi de fonctions publiques ou mandats électifs pour lesquels la qualité de nigérien est requise ».
On pourrait envisager d’étendre ces dispositions aux critères d’éligibilité des Nigériens d’origine étrangère à l’élection présidentielle. En laissant, cependant, aux personnes habilitées le soin de réfléchir sereinement sur la durée d’inéligibilité temporaire que l’on pourrait fixer aux personnes ayant acquis la nationalité nigérienne par mariage ou par naturalisation. Et les précisions insérées dans le code électoral, ne seraient alors que des dispositions complétant l’alinéa 3 de l’article 47 de la constitution.
A propos de l’article 8 du code électoral. Il prive de l’inscription sur les listes électorales « les individus condamnés définitivement pour crime et non réhabilités ; les individus condamnés définitivement pour délit à une peine d’emprisonnement ferme égale ou supérieure à un (1) an et non réhabilités (…) ». Ainsi, les personnes susvisées sont définitivement déchues de leurs droits électoraux, sauf en cas de réhabilitation.
Cette disposition du code électoral, couvre d’incertitude la participation du chef de file de l’opposition nigérienne aux futures élections présidentielles, après sa condamnation à un an de prison ferme. Ce qui confère à cet article une résonance toute particulière. Point besoin de le nier. L’article 8 est un enjeu crucial pour les élections à venir et une source de préoccupation pour le climat politique post-électoral.
Il demeure, par ailleurs et d’une certaine manière, l’une des causes principales de l’échec des tentatives de reprise du dialogue politique, en vue de créer les conditions d’une modification consensuelle du code électoral. L’article en question ayant été érigé en « tabou », par une partie de la classe politique et notamment une frange de la majorité au pouvoir.
L’un des arguments avancés par ceux qui prônent l’intouchabilité de l’article 8, est le fait que son énoncé soit resté le même depuis 1992. Mais ceux qui évoquent ce motif oublient que l’article 8 de l’Ordonnance n° 92-43 du 22 août 1992 n’était qu’une version modifiée de l’article 5 de la Loi n° 91-11 du 11 juin 1991, portant électoral. Et dans cette version antérieure, la durée d’emprisonnement préjudiciable à la perte des droits électoraux n’était que de 3 mois.
Ainsi, de la durée de 3 mois de prison ferme pendant la 2nd République, on est passé à 1 an en 1992. Et dans les assises qui ont été initiées de façon collégiale, après les élections de 2016 et avec la collaboration de certains partenaires étrangers, dans le but, justement, d’améliorer les performances du processus électoral nigérien, la durée de 3 ans de prison ferme avait été avancée dans le document de synthèse des travaux. On peut dès lors se demander, pourquoi est-ce que l’on tient tant à ériger la durée d’incarcération d’un an en tabou, malgré les risques que comporterait la démarche.
Des risques, qui ne résident pas seulement dans les allégations d’une instrumentalisation de l’article pour barrer la route de la course présidentielle au chef de file de l’opposition. Ils ont surtout trait aux conséquences que de telles suppositions pourraient avoir sur la dimension inclusive des élections à venir, et notamment avec la très forte probabilité de voir des centaines de milliers de potentiels électeurs se tenir à l’écart du processus électoral, parce que leur candidat ne figurerait pas parmi les options soumises à l’appréciation du peuple.
Or, une élection est beaucoup plus qu’un rituel de ratification. C’est un événement qui est censé mobiliser et susciter l’engouement et l’adhésion de tout un peuple et non une partie de celui-ci. Une élection non-inclusive risquerait fort bien, par ailleurs, d’inscrire l’atmosphère tendue du climat politique actuel dans une perspective de continuité, avec une probabilité non négligeable de regrettables détériorations.
Mais en dehors de cet aspect conjoncturel, l’article 8 mérite aussi d’être réexaminé, au regard de la dimension définitive de la privation des droits politiques qu’il préconise, à l’encontre des individus ayant déjà purgé leurs peines d’emprisonnement d’au moins un an. Car cela lui donne des allures d’une double peine, tout en soulevant, par ailleurs, la question du sens et de la finalité des sanctions infligées aux auteurs d’actes répréhensibles.
En effet, les corrections que la société inflige à ses membres n’ont pas pour vocation principale de les marginaliser indéfiniment. Elles visent plutôt à les aider à prendre davantage conscience du caractère déviant de leurs actes et à se ressaisir. Aussi, lorsqu’une collectivité corrige en redressant ou en relevant ses membres qui trébuchent, flanchent ou tombent, c’est pour leur donner la chance de (re)marcher sur un chemin plus sûr et qui les rendrait meilleurs.
C’est peut-être pour cette raison que certains pays, au lieu de priver leurs citoyens, auteurs de certains types de délits et crimes, des droits civiques durant toute leur vie, ont plutôt opté pour des privations temporaires. C’est par exemple le cas de la France, où la durée de la déchéance des droits civiques est fixée à 10 ans au maximum pour les crimes et 5 ans au maximum pour les délits, depuis 1994.
Et depuis 2010, en vertu du principe d’individualisation des peines, il est laissé au juge le soin de fixer la durée temporaire de privation des droits civiques, dans l’énoncé de la sentence prononcée contre les auteurs de certains types de crimes et délits.
Le Niger pourrait aussi étudier les possibilités d’un cheminement vers une modification de l’article 8, qui exclurait les déchéances définitives des droits civiques, en fixant le nombre d’année maximal de privation de droits civiques, applicable aux auteurs de certains crimes et délits.
Enfin, ce plaidoyer pour l’exploration des possibilités d’un enrichissement de l’alinéa 3 de l’article 47 de la constitution ainsi que l’article 8 du code électoral, n’est pas motivé par des réflexes équilibristes. Il n’est pas non plus l’expression d’une tentative de banalisation des textes. Il s’inscrit tout simplement dans la dynamique de la recherche des voies qui favoriseraient la restauration du dialogue politique, tout en maximisant les conditions susceptibles de garantir la tenue d’élections libres, transparentes, inclusives, à même de renforcer la cohésion sociale et de garantir la légitimité et la gouvernabilité des institutions. Les idées qui y sont avancées peuvent être nuancées, complétées, enrichies. L’enjeu étant aussi de susciter des échanges utiles, susceptibles d’élever le niveau des débats, en les plaçant au-dessus des considérations personnelles et partisanes, parce que les questions qui engagent le devenir de la Nation dépassent de loin les personnes et les partis politiques. Et face aux défis multiples auxquels le pays est de plus en plus confronté, on ne peut plus continuer à occulter la nécessité d’un dépassement de soi. Consentir de sacrifier des intérêts personnels ou partisans au profit de l’intérêt général, ne doit plus être perçu comme une option, mais comme un devoir. Le devoir de placer le Niger, sa survie en tant que Nation composée d’individus libres, égaux, solidaires et jouissant pleinement de leurs droits inaliénables, au centre des ambitions individuelles et collectives.
Vivement...