Le Niger va-t-il droit dans le mur ? Depuis quelques semaines, le courrier a appris, en off, que le président de la Ceni, Me Issaka Souna, a adressé au ministre d'Etat chargé de l'Intérieur, Mohamed Bazoum, une note pour l'édifier par rapport à l'impossibilité pour son institution de finaliser le fichier électoral biométrique à date. Le 20 novembre 2020, en principe, doivent se tenir les élections municipales et régionales. Et le 27 décembre, le premier tour de l'élection présidentielle couplé aux législatives. Or, à ce jour, à un peu plus de quatre mois de la tenue de ces élections locales, c'est l'incertitude totale. Le 17 juillet 2020, soit dans un mois et une poignée de jours, la DIFEB (direction du fichier électoral biométrique) doit, en principe, remettre ledit fichier au président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Celui-ci doit le remettre à son tour au ministre de l'Intérieur, dès le lendemain, 18 juillet 2020. Des dates que la Ceni aura du mal à respecter, eu égard à l'immense qu'elle a accusé sur la conduite du processus. Bien avant que la pandémie du COVID 19 ne vienne servir de parade éventuelle pour justifier un échec probable.
La phase d'affichage, de réclamation, de recours, de contentieux et de correction des listes électorales provisoires est cruciale. Les dates sont hypothéquées.
Les retards de la Ceni sont multiples et aujourd'hui incompressibles. Suivant son chronogramme, depuis le 28 janvier 2020, elle doit avoir terminé la phase d'affichage, de réclamation, de recours, de contentieux et de correction des listes électorales biométriques provisoires de Tillabéry, Dosso, Agadez, Tahoua. Pourtant, ça n'a pas été le cas. Et ce n'est pas demain, la veille. De même, le 28 mai prochain, soit dans deux semaines, la phase d'affichage, de réclamation, de recours, de contentieux et de correction des listes électorales provisoires de Niamey-Maradi, Diffa, Zinder et de la diaspora doit être bouclée. Un pari extrêmement difficile à relever pour la Ceni dans la mesure où les activités d'enrôlement se poursuivent cahincaha, pratiquement, dans toutes les régions du Niger, à l'exception notable d'Agadez où l'affichage a été programmé du 27 avril passé au…mai 2020. À Tahoua, il y a une commune non enrôlée tandis qu'à Tillabéry, il y a encore sept communes entières dont les habitants n'ont pas été enrôlés. Et, alors que la Ceni s'attelle, depuis quelques jours, à résorber ce retard, les attaques de bandits armés ressurgissent comme par hasard. À Niamey aussi, il y a toujours deux arrondissements sur cinq (IV et V) où l'enrôlement n'a pas débuté à ce jour. Officiellement, pour cause de pandémie du COVID 19. L'interdiction de fermeture des mosquées ayant été levée, la Ceni va peut-être envisager de reprendre l'enrôlement dans les deux arrondissements communaux en question. Quant aux autres régions de l'aire 2, l'enrôlement se poursuit et il est loin d'être achevé. Pour la diaspora, apprend- on, la Ceni a été carrément obli-gée de surseoir à l'enrôlement, les pays d'accueil ayant tous fermé leurs frontières pour cause de pandémie du COVID 19.
Le Niger a 45 jours pour aplanir les divergences et lever tous les obstacles et écueils qui se dressent sur le chemin qui doit le mener vers les élections locales.
Le 29 juin 2020, le président de la République doit convoquer le corps électoral pour les élections locales. Une échéance qui approche à grands pas sans que les obstacles, objectifs, n'aient été levés. Le Niger a, donc, 45 jours pour aplanir les divergences et lever tous les obstacles et écueils qui se dressent sur le chemin qui doit le mener vers les élections locales. Pourtant, rien ne semble préoccuper les autorités nigériennes, tenues par la loi fondamentale d'organiser les élections à date. L'article 47 de la constitution indique que " en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit ". Une Disposition qui, selon l'article 175 de la même constitution, ne peut être susceptible de révision. " Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie, entre autres, lorsqu'il est porté atteinte aux dispositions des alinéas 1 et 2 de l'article 47. Juridiquement, il n'existe, donc, aucune parade possible pour ne pas organiser les élections à date. Le président de la République, premier garant du respect strict de ces dispositions, ne donne aucun indice quant au souci de décanter la situation avant les échéances fixées. Pourtant, les obstacles et divergences à aplanir sont non seulement nombreux mais complexes. Et le temps passe…
Mohamed Bazoum n'a pas, à ce jour, donné la suite attendue à la suggestion du président de la Ceni.
C'est sur la base de ces retards, mais aussi de nouvelles difficultés induites par la lutte contre la pandémie du coronavirus, que le président de la Ceni a attiré l'attention du ministre de l'Intérieur sur les graves conséquences qui risquent de découler de cette situation si rien n'est fait pour corriger le tir. Me Souna le confirmera d'ailleurs lors de la vidéoconférence des responsables des processus électoraux de la Cedeao. " Si les situations sanitaire et sécuritaire ne s'améliorent pas, la Ceni fera face à de sérieuses difficultés avec des conséquences graves sur les plans technique, constitutionnel et politique ", a déclaré Me Souna qui précise avoir adressé un courrier au ministre en charge des élections en lui demandant d'inviter les différentes parties prenantes aux élections, y compris la Cour constitutionnelle, pour que des solutions soient trouvées ensemble. Il ne souligne pas la date de ladite note, mais Mohamed Bazoum n'a pas, à ce jour, donné la suite attendue à la suggestion du président de la Ceni.
Le Niger ne pourra pas faire l'économie d'un dialogue politique inclusif si l'on veut trouver les dispositions pratiques et des solutions aux différents problèmes.
Selon Me Souan, le processus électoral nigérien bute à trois types d'obstacles majeurs : économique, légal et politique. Au plan économique, il a expliqué que la lutte contre le COVID 19 et le terrorisme ont sérieusement impacté sur la conduite du processus électoral. Selon lui, il ne représente plus une priorité, les préoccupations du gouvernement étant tournées vers la lutte contre le coronavirus. Au plan légal, il a relevé que si les circonstances actuelles perdurent, la liste électorale ne sera pas prête et que, par conséquent, les élections ne pourraient pas se tenir dans les délais constitutionnels. Au plan politique, enfin, Me Souna a indiqué qu'un consensus politique s'impose et que le Niger ne pourra pas faire l'économie d'un dialogue politique inclusif si l'on veut trouver les dispositions pratiques et des solutions aux différents problèmes.
Mohamed Bazoum se met dans une posture délicate, perçu par l'opinion publique comme étant le principal faucon opposé à tout consensus de la classe politique sur la question des élections.
Pourquoi Mohamed Bazoum n'a pas réagi favorablement à la suggestion du président de la Ceni ? Pour de nombreux citoyens nigériens, c'est parce qu'il est juge et partie. Ministre de l'Intérieur, il est le président du Pnds Tareyya et candidat dudit à l'élection présidentielle prochaine. Il ne peut, donc, vouloir d'un projet qui va absolument abouti à un consensus sur les questions qui fâchent, notamment le code électoral et la composition de la Ceni. Deux questions majeures auxquelles viennent se greffer les fraudes dans l'enrôlement. En ignorant royalement la proposition de Me Souna, Mohamed Bazoum se met dans une posture délicate, perçu par l'opinion publique comme étant le principal faucon opposé à tout consensus de la classe politique sur la question des élections.. À qui profite la confusion ?