Le Directeur régional de la population de Maradi, M. Moutari Issoufou : « Il y a une lueur d’espoir à travers les actions menées pour changer le comportement des populations »
Monsieur le Directeur, de façon générale, la croissance démographique du Niger s’accélère chaque année, à combien peut-on estimer aujourd’hui la population de la région de Maradi ?
Merci. La population de Maradi est aujourd’hui estimée à 4.160.232 habitants selon les dernières estimations officielles fin 2018 de l’Institut national de la statistique. Tout comme la population du Niger, celle de Maradi est extrêmement jeune. Le pourcentage de la population qui a moins de 15 ans représente 54,5 % alors qu’au plan national, cette frange de la population ne représente que 51, 6%. Il y a aussi une prédominance des femmes qui représentent 50, 8% de la population. Comme au plan national, l’essentiel de la population de Maradi est rurale puisque sur les 4. 160.232 habitants, un peu moins de 500. 000 vivent dans la ville de Maradi. En ce qui concerne la densité, elle est de 100 habitants par km2 à Maradi alors qu’au plan national elle n’est que de 16,3 habitants par Km2. Même les 100 habitants représentent une moyenne régionale dans la mesure où certains départements dépassent les 100. Il y a une forte concentration dans des départements comme Madarounfa et un peu Guidan Roumdji.
Justement Monsieur le directeur, quel commentaire cela vous inspire en tant que technicien?
En fait, la population de Maradi est caractérisée par un accroissement assez rapide, un rythme d’évolution extraordinaire. Quand vous prenez par exemple l’Indice synthétique de fécondité qui est le nombre moyen d’enfants par femme, il est de 8,4% alors qu’au plan national, l’indice n’est que 7,6. Le comportement pro nataliste de la population de la région de Maradi ne fait l’ombre d’aucun doute. La population a un comportement pro nataliste. Et c’est justement ce qui explique entre autres ce fort taux de l’indice synthétique de Fécondité dans cette région.
Mais quelles sont les conséquences de cette situation ?
Avant de parler des conséquences, il faut aussi détailler les causes. Je parlais tout à l’heure de comportements pro natalistes, car ici, le désir d’avoir beaucoup d’enfants est aussi bien élevé chez les hommes que les femmes. Bref, c’est dans pratiquement tous les départements de la région. La polygamie fait partie du quotidien des populations. Chaque fin de saison rime avec une série de mariages, de remariages. La région de Maradi fait partie des régions vitrines en matière de mariage d’enfants. Les filles sont souvent mariées à l’âge de 12 ans. Le mariage des 13, 14 et 15 ans est monnaie courante. Et ce qui est frappant, le premier anniversaire du mariage doit rimer avec l’arrivée du premier enfant. Lorsque cela ne se réalise pas, ça devient une source d’interrogations aussi bien dans la famille du jeune marié que celle de la jeune mariée. Tout cela concoure à dire que la population a un comportement pro nataliste.
S’agissant des conséquences, on peut dire que dans certains départements de la région de Maradi, l’environnement est le premier élément qui subit les effets de cette situation alors que les premières activités des populations de Maradi, sont l’agriculture et l’élevage. Or, les espaces sont tellement grignotés que certaines familles, certains ménages n’ont plus de terres cultivables. Quand vous prenez par exemple le département de Gazaoua, ça a été un cri de cœur lors d’une rencontre avec les autorités préfectorales et le chef de canton de Gazaoua où il y a moins d’un (1) hectare pour une famille qui a 20 membres. Alors que c’est ce même hectare ou plus que cette famille avait lorsqu’elle comptait seulement cinq membres. Et cette donnée est en train d’être observée un peu partout dans des départements comme Madarounfa ; Guidan Roumdji et même de Tessaoua. Et du coup, cette situation entraine la recrudescence des problèmes entre agriculteurs et éleveurs. Les crises alimentaires qui ne découlent pas seulement du manque de pluviométrie mais aussi de l’insuffisance des terres. Puisque la capacité des terres ne peut pas couvrir les besoins des familles. Aujourd’hui sur le plan alimentaire, il ne s’agit pas seulement d’avoir le nécessaire, mais il faut toujours espérer et c’est ça le vœu des autorités nigériennes. Comment faire pour avoir un surplus. Il se trouve que même le quotidien est difficile à être assuré.
Comme autres conséquences, il y a aussi les problèmes sanitaires avec un nombre important d’enfants compris entre 0 et 5 ans qui sont vulnérables. Il y a aussi un épineux problème qui aggrave toutes les situations : le manque de scolarisation des jeunes filles. Et même lorsque les filles sont scolarisées, elles ne sont pas maintenues à l’école.
A l’âge de 12 ans dans les zones rurales ou 13 ans, 14 ans même en ville, elles sont retirées de l’école pas parce qu’elles n’ont pas la capacité de continuer, mais juste pour les donner en mariage. Cela est un véritable problème. Mais avec le ministère de la Population, nous sommes en train de prendre le taureau par les cornes en cherchant des solutions à tous ces problèmes. Ainsi, dans le cadre du projet SWEDD, il y a une dynamique d’implication de tous les acteurs à savoir, les religieux, les chefs traditionnels, les jeunes, les femmes etc, pour amener les populations à comprendre l’enjeu de la question. Déjà, des formations ont été entamées dans ce cadre pour que tout cela entraine un changement de comportement responsable qui va nous amener à beaucoup plus faire le lien entre population et développement. Lorsque les populations elles-mêmes vont comprendre qu’il y va de leur intérêt, les choses connaitront un changement positif. Il est important d’avoir des enfants en bonne santé, scolarisés et utiles pour la famille, la région et le pays. Aucun parent ne va souhaiter que son enfant soit qualifié de cancre de la région ou du pays ou de grand voleur. Pour éviter tout ça, il faut les éduquer. C’est lorsqu’ils sont éduqués, qu’ils peuvent avoir une activité génératrice de revenus ou un emploi. C’est en ce moment qu’ils peuvent être utiles à leur société. Et même sur le plan religieux, beaucoup de marabouts dans la région ont aujourd’hui compris cela. Mais, il y a d’un autre côté, une interprétation de certains hadiths du Prophète Mohamed (SAW) qui a été faite.
Monsieur le directeur, est ce que cela veut dire que la religion pourrait être une cause ?
Oui, justement. Surtout qu’il y a beaucoup qui ne maitrisent pas les textes et sillonnent malheureusement les marchés hebdomadaires pour faire des commentaires qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Certains disent même que toute femme qui met l’implant ira directement en enfer. Avec les autorités régionales, des mesures ont été prises.
Est-ce que lors de vos campagnes de sensibilisation, les leaders coutumiers sont impliqués ?
Oui, c’est la chefferie traditionnelle. En fait, si vous voulez, le projet SWEDD même est un projet phare de la politique en matière de population au Niger dont tous les volets sont pris en compte pour atteindre le Dividende Démographique. Je disais tout à l’heure qu’une série de sensibilisation des acteurs a été initiée ici à Maradi. Depuis février 2018, il a été élaboré un plan d’actions dans ce cadre et qui va suivre toutes les actions que la chefferie traditionnelle va mener à l’endroit des populations. Il faut entendre par chefferie traditionnelle les Sultans, les Chefs traditionnels, les Chefs de groupement, les Chefs de village et les Chefs de quartiers. En dehors des chefs traditionnels, il y a les leaders religieux et toutes les autres sensibilités qui ont été associés et ont suivi une formation au plan régional et au plan national. Il y a aussi le conseil régional de la jeunesse qui a bénéficié d’un atelier national à Tahoua. A Maradi, il y a eu un atelier régional de formation des femmes membres des groupements. En somme, tous les acteurs sont impliqués. Tous les maires ont également été formés dans le cadre du Dividende Démographique ainsi que d’autres acteurs comme les journalistes, les animateurs des radios communautaires pour dire que personne n’a été oubliée. Au plan régional, au niveau de la direction de la population, nous avons mené une campagne de sensibilisation aux niveaux des instituts et de l’Université de la ville de Maradi. La direction régionale de la population saisit toute occasion de célébration d’un événement spécial à Maradi pour en parler tellement que cette question est extrêmement importante.
Etes-vous optimistes quant à l’aboutissement de ces actions dans la région de Maradi ?
Justement, vous savez, le projet SWEDD est un projet inclusif. Il travaille avec 13 ministères. Des actions contrôlées et supervisées par la Direction de la population sont en train d’être menées dans les régions, les communes, les villages parce qu’il y a une cellule restreinte de consolidation des rapports qui a été créée dans les régions et qui suit toutes les activités des différentes directions régionales. Il faut dire qu’il y a vraiment une lueur d’espoir avec la formation des jeunes hommes et femmes des villages. Ces jeunes hommes et femmes qui sont des futurs mariés sont rassemblés pour être sensibilisés sur les thématiques du projet SWEDD. Il y a des cours d’alphabétisation qui leur sont dispensés comme cela se passe au niveau des espaces sûrs ? Tout cela pour amener les populations à un changement de comportement indispensable lorsqu’on veut inverser la tendance.
Par Fatouma Idé et Hassane Daouda, Envoyés spéciaux(onep)