Beaucoup de ceux qui sont aujourd'hui aux commandes de l'Etat, éclaboussés par des scandales de tous ordres, étaient parmi les meneurs des manifestations des scolaires nigériens à l'occasion de la visite du président français, Georges Pompidou, 'l'impérialiste', à Niamey en 1972. Dans les différentes motions, que Le Courrier vous livre aujourd'hui, le régime Diori et la France, 'colporteurs de coopérants', étaient voués aux gémonies, traités de tous les noms. Et le pacte colonial, ce " pacte du diable ", l'inféodation des gouvernants de l'époque dont Diori lui-même et Boubou traité ironiquement d'Océan de connaissances, la France " source de tous nos maux et nos misères ", l'aide publique, la Coopération et l'investissement privé de la France et des français, furent dénoncés avec force dans ces littératures écrites par ceux qui ont accueilli Pompidou avec une tomate. Aujourd'hui, comme la roue de l'histoire ne s'arrête pas, et qu'elle tourne inexorablement, ces dénonciateurs se proclament héritiers du régime Diori- Boubou et se font passer pour les meilleurs garants des intérêts de cette même France suceuse de sang. Le climat des affaires au Niger n'a jamais été propice aux investisseurs privés extérieurs. Pourtant en 1972, ils affirmaient " Nous faisons fructifier les capitaux privés dont les bénéfices retournent intacts à leur p a y s d'origine...Industrialisation de façade, l'industrialisation par l'aide privée est d'autant plus nocive qu'elle use de pressions de tout ordre pour étouffer toute initiative locale et se justifie ainsi. ". Que dire aujourd'hui des investissements des privés français, chinois, turcs, indiens, dont Imouraren, la boucle ferroviaire devenue un tas de ferrailles, la SORAZ, la CNPCN, l'Aéroport international Diori Hamani, Radisson Blu et le Centre Gandhi ? Libèrent-ils les initiatives locales ? Les dénonciateurs d'hier sont aujourd'hui les promoteurs zélés des investisseurs étrangers aux dépens de l'invisitevestissement public et privé nigériens. A l'évidence, les intérêts du Niger n'ont jamais été autant compromis que sous la renaissance. Le reniement est total et les révolutionnaires d'hier, métamorphosés en bourgeois compradores, sont devenus les pires réactionnaires de l'histoire du Niger. Ci-dessous les motions intégralement saisies telles quelles par le Courrier pour une meilleure lisibilité à la demande des lecteurs.
Motion du Lycée national : HALTE AU SCANDALE !
" Douze ans de labeur, d'acharnement, d'attente. Douze ans de promesses, douze ans de résignation, et l'espoir désormais brisé des masses laborieuses du Niger, est plus que jamais loin de répondre aux voeux infâmes des colporteurs de 'coopérants'. Faut-il sacrifier tant d'années d'ardeur et de peine au profit d'une poignée de marionnettes ne servant qu'à raffiner les astuces suggérées par le colonisateur ? La visite au Niger du Président Pompidou ne sert plus qu'à consolider ce 'pacte du diable'. Conscients des réalités que camoufle le vernis de luxe et de faste, dénonçons : le caractère perfide et inhumain de l'isolement de tous les infirmes de Niamey jusqu'au départ de 'l'hôte-roi' ; l'interdiction à la circulation aux engins à petit cylindre à partir du 22 ; la vaste campagne de mobilisation et d'intoxication des masses par la voie de la presse, la radio, et des réunions publiques, dont le ridicule sourire forcé ; la portée indignant de la quasiannulation de la Fête Nationale de la Proclamation de la République au profit de la visite du grand 'sashem blanc' ; le déploiement de sommes fabuleuses pour la construction de visites somptueuses afin de présenter au visiteur étranger le Paris réincarné ; la complaisance de nos dirigeants à vouloir perpétrer un système d'enseignement inadapté aux réalités de notre pays.
Mais que ce soit le colon, que ce soit le coopérant, l'ouvrier nigérien à Arlit a déjà compris que sous des manteaux différents se cachent les mêmes visages et la même arrogance ; la récente révolte de ces compatriotes est une preuve irréfutable que le germe de l'apartheid mûrit doucement au Niger. Quel tort avait (commis) le camarade Moutary d'avoir manifesté hautement et fièrement son indignation à propos de la visite du Président français ? Nous exigeons sa libération immédiate. C'est dans cet esprit et face à ces tristes réalités que Nous, élèves du Lycée National, avons décrété une grève de protestation du 21 au 26 Janvier. "
Motion des ELEVES DU COLLEGE MARIAMA
" Nous tenons d'abord à préciser que nous ne faisons pas la grève ni contre la direction, ni contre le corps enseignant. Notre grève se fait au niveau gouvernemental, en signe de protestation contre l'arrivée de cet impérialiste très entreprenant mais maladroit qu'est 'le grand Pompidou'. Nous exigeons un peu d'honnêteté vis-à-vis du peuple sans instruction et sans enseignement de la part de nos grands. En effet, l'heure de la démystification a sonné. Il faut faire connaitre aux paysans le vrai visage de la France, qu'ils sachent qu'elle n'est pas seulement la France qui nous a aidés à 'sortir de la nuit' comme le disent les gouvernementaux mais aussi et surtout, qu'elle est la source de nos maux et de nos misères. C'est elle qui divise l'A.O. pour mieux régner. C'est elle qui, enfin, continue à sucer goutte à goutte le sang de notre peuple. Pourquoi faire naitre partout le culte du blanc ? Nous ne voulons pas d'un Niger exploité et où, les dirigeants se comportent en valets de l'impérialisme, mais d'un Niger indépendant dans toute sa dignité. Le gouvernement fait exprès de retarder la colonisation de notre pays, avec ce voyou zélé qu'est monsieur Tranchart. Pas d'élites, pas d'ennuis. Notre grand politicien et son directeur et son directeur de conscience, 'l'océan de connaissances', BOUBOU HAMA, se rendent-ils compte de ce qu'ils infligent à la nation ? Nous savons très bien que Pompidou et sa bibiche viennent pour procéder au ramassage des derniers grains d'uranium. Nos richesses ne s'envolent pas ; c'est nous-mêmes qui les étendons à bon marché à chaque pays. Le gouvernement français a bien choisi ses valets afin que ceux-ci accomplissent efficacement la tâche qui leur est assignée ; celleci consiste à endormir la conscience de la masse analphabète et à lui assurer une main mise sur nos biens. Bien que le Niger soit un pays pauvre, notre budget est passé dans la construction de nouvelles routes soi-disant que le 'grand Pompidou' ne peut supporter la poussière. Et sans réfléchir on a doublé l'impôt.
Compte tenu de tout ceci, Nous, élèves du Collège Mariama, décrétons une grève de protestation du samedi (matin) 22 au mercredi (soir) 26 janvier 1972. "
VIVE LE PEUPLE NIGERIEN, VIVENT LES SCOALIRES NIGRIENS.
Motion du C.E. Sup Niamey Echec à la Coopération
Octroi d'indépendance fait à l'ancienne colonie, il s'imposait de faire prendre d'autres voies plus détournées, plus subtiles aux formes d'exploitation, de pillage de nos richesses nationales. Le colon, expression de la domination directe rentrait. Le temps de retourner sa veste, il débarque sous le statut de 'coopérant'. Sur 150 000 coopérants officiels travaillant dans le tiers-monde, 46 000 sont français. Chez nous ils 500. Le 24 Janvier, arrive un de marque, le Président de la République Française G. Pompidou. Consécration d'une coopération exemplaire, inquiétude néanmoins devant une tendance plus ou moins timide à élargir le cercle des amitiés (Canada, RFA, USA, Italie, Japon), honneur et caution à un régime des plus fidèles, des plus stables et des plus fragiles. Mais donner un nouveau départ à la Coopération est le sens le plus profond de cette visite. On veut donner à la réception de Pompidou toute la pompe qu'elle mérite : mobilisation générale des services pour donner un visage plus attrayant à Niamey dont le budget municipal est passé de 208 millions à 1 237 998 161 frs, étrange coïncidence ! Mobilisation de toute une smalah de cavaliers et de chameliers, certains venant des coins les plus reculés pour servir au couple Pompidolien son plat de folklore, intempestive campagne d'intoxication des masses sur l'étendue de la République. Une réception à la Présidence de la République, une à l'Ambassade de France , une conférence de presse, une séance à l'Assemblée nationale, autant d'occasions pour G. Pompidou de brosser avec délectation et paternalisme, le tableau et les perspectives d'une Coopération illusoire plus exemplaire encore qu'on le laisse entendre accroissement de l'aide publique, accroissement de l'aide privée, amélioration des termes de l'échange. Des illusions, venons aux réalités que onze années d'expérience nus ont permis de connaitre. Les instruments officiels de cette Coopération sont : la Coopération technique et technique, l'aide financière. Coopération culturelle et technique :
Comme son nom l'indique, l'assistant technique assiste, mais surtout forme et par voie de conséquence prépare sa relève. En dépit d'une formation progressive volontairement ralentie des cadres nigériens, on assiste à une importation massive d'assistants techniques. Une place de choix leur est faite dans les services : à compétence égale sinon inférieure à celle du cadre autochtone, l'assistant technique assume plus de responsabilités que le cadre nigérien qui, le plus souvent (se) voit confier des tâches bureaucratiques ne requérant pas sa formation technique. Jusqu'à quand ces cadres accepteront-ils de se résigner à un tel sort ? Une question que certains coopérants se sont posée : l'assistant technique est-il ou non un agent gouvernemental ? Si l'assistant technique contrôle et oriente notre économie dans le sens des intérêts de l'impérialisme français, l'assistant culturel a pour objectif de bâillonner le peuple nigérien, de tuer nos langues nationales, de tuer notre civilisation.
De l'aide :
L'aide publique consiste essentiellement en des dons et prêts qui, s'ils ne sont pas empochés par les agents locaux, retournent à la France, sous forme d'achats de biens d'équipements, de services et de produits finis, exclusivement français : c'est le mécanisme de l'aide liée. Le Français moyen ignore tout de la Coopération. Il nourrit un sentiment de frustration. Une éminence grise n'ayant manifestement pas le sens des affaires tout en piquant d'économie, Raymond Cartier, s'est fait le porte-parole. Des 'Milliards en l'air' dit en substance le Cartiérisme. Le gros capitaliste français a tout fait de le faire taire, et on continue de déclamer que c'est une aide désintéressée, on embouche trompettes pour chanter aux quatre coins du Monde la générosité de la France. Nouvelle en date, l'aide privée consiste en investissements industriels et commerciaux. Elle est appelée à prendre le relais de l'aide publique comme l'indiquent ces propos tenus le 22 janvier 1971 par G. Pompidou, au cours d'un déjeuner, devant des hommes d'affaires, des chefs d'entreprises et des banquiers : " les investissements publics ont développé une infrastructure suffisante en Afrique. C'est maintenant autour des investissements sur place. L'Etat vous aidera et vous donnera sa garantie ". Ces capitaux s'abritent dans des sociétés, entreprises dont pas une ne manque de titrer 'Société Nigérienne de !!!' alors qu'elles n'ont de nigérien que la matière première et la main d'oeuvre. Parmi tant d'autres, prenons un exemple : la Société des Mines de l'Air. Les participations en capitaux se ventilent comme suit, CEA : 33,5% ; Fechiney-MOkta : 18,84% ; Niger : 16,75% ; ACIP Nucléaire : 8,25% ; Compagnie française des Minerais d'Uranium : 14,86% ; Urangessellshaft : 8,125%. Par sa participation, écrasante, la France s'assure ainsi le contrôle de la Société. Ainsi, le programme d'exploitation de cet Uranium, porteur des espoirs de tout le peuple nigérien est réalisé en fonction des besoins de la France, et de la France exclusivement. Partant, il ne s'inscrit pas dans le cadre d'u développement accéléré du Niger. Toute notre politique (si on en a une au fond) d'exploitation des richesses du sous-sol est subordonnée aux besoins minéraliers de l'économie française. S'il ne tenait qu'à nos propres besoins économiques qui sont des plus urgents, combien d'autres gisements, notamment le fer, auraient vu le jour. Le cas d'Arlit est loin d'être particulier : il pose un problème général. Quelle incidence réelle a sur notre économie, sur notre niveau de vie, cette 'industrialisation de l'extérieur' assurée par les capitaux privés ? Y-a-il accumulation là où il y a industrialisation, là où il y a exploitation de la richesse ? Un décollage économique est-il en vue ? Ce n'est certes un secret pour personne que si les capitaux privés ont daigné revenir au Niger c'est au prix d'exigences, de garanties de la part des pays hôtes : stabilité politique, rentabilité exceptionnelle, amortissement plus accéléré et surtout rapatriement des bénéfices et profits avec quasi exonération fiscale. Nous faisons fructifier les capitaux privés dont les bénéfices retournent intacts à leur pays d'origine, la France. Qu'on parle de pillage, de fonctions, pour cerner une réalité qui crève les yeux n'est nullement une figure de style. Industrialisation de façade, l'industrialisation par l'aide privée est d'autant plus nocive qu'elle use de pressions de tout ordre pour étouffer toute initiative locale et se justifie ainsi. Pillage, blocage, création d'une structure de dépendance de notre économie, tels sont les bienfaits de cette aide en investissements privés. On ne saurait dire la chose plus explicitement qu'Yvon Bourges, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères : 'les études les plus sérieuses estiment que 80% des sommes affectées par la France à l'aide du tiers-monde reviennent dans le pays donateur sous forme de salaires, de commandes passées à ses entreprises, de réinvestissement d'économies personnelles et de bénéfices d'entreprises'. Bien qu'intégralement rapatriés, les bénéfices et profits des dites entreprises nigériennes sont sans vergogne comptabilisés dans l'évaluation de notre PNB qui se gonfle d'année en année, alors que le pouvoir d'achat du peuple, son niveau de vie, expression réelle du PNB, décroit vertigineusement. Le pays s'enlise d'année en année dans le marasme économique. Aux termes de cette étude qui, nous l'espérons aura mis à découvert les implications d'une Coopération par trop inconnue, poser la question : qui aide, qui de la France et du Niger, c'est y répondre. Coopération normale ou anormale, bilan positif ou négatif, le temps n'est plus aux spéculations. Ce qui importe, c'est de trouver comment le Niger peut mettre fin à cette maudite 'Coopération', expression, nous n'aurons cessé de le répéter, d'une politique de calcul économique et de prestige. Une seule voie s'impose : acquérir notre Indépendance au prix de sacrifices ou s'il le faut comme le VAILLANT PEUPLE ALGERIEN, au prix de nos vies.
En signe de protestations contre le séjour du couple Pompidolien dans notre pays, Nous, Scolaires Nigériens, décrétons une Grève du vendredi 21 (matin) au Mercredi 26 janvier au soir.